Le 28 octobre 2019, le colloque « Renforcer le contrat social : quel revenu pour une société plus solidaire ? » s’est tenu au Palais du Luxembourg. Organisé par Monsieur Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, en collaboration avec le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB), il a réuni plus de 100 participants.

Guillaume Gontard a introduit ce colloque en expliquant pourquoi le revenu de base constitue aujourd’hui le pilier manquant de la protection sociale. Rappelant le récent succès de l’idée, il a insisté sur la nécessité de sortir de la pauvreté et de repenser le travail.

Fanny Deltruel, membre du MFRB et organisatrice du colloque, a rappelé la définition du revenu de base et sa pertinence aujourd’hui, à la fois comme levier économique mais aussi comme nouveau projet de société pour remettre la justice sociale au cœur des problématiques politiques et citoyennes. Nous devons repenser notre imaginaire collectif et le revenu de base peut y contribuer !

« Quels enjeux derrière le revenu universel d’activité ? »

Il y a un an, le gouvernement annonçait la création d’un « revenu universel d’activité » (RUA) lors de la présentation de son plan de lutte contre la pauvreté. Alors qu’une grande concertation a été lancée en juin dernier, de nombreuses associations de la société civile s’interrogent sur les grands principes qui devraient guider les travaux : budget constant, fusion de certains minimas sociaux, conditionnement à une démarche d’insertion par l’emploi qui empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité…

Pour la première table-ronde de la journée, Jean-François Maruszyczak, directeur général d’Emmaüs France, a rappelé que 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et qu’il est urgent d’éradiquer, tout au moins de réduire, la pauvreté.

Déplorant que nous sommes aujourd’hui loin d’une réelle solidarité notamment en faveur des personnes les plus démunies, il a insisté sur la nécessité d’avoir accès à un travail décent, de renforcer les accompagnements individualisés, de développer les services de proximité tout en favorisant la participation des personnes concernées. Soutenant la mise en place d’un revenu minimum garanti, une proposition de plus en plus soutenue par les associations de lutte contre la précarité et l’exclusion, il invite le gouvernement à augmenter le budget dédié aux droits de nos concitoyens.

De gauche à droite : Pierre-Edouard Magnan, Nicole Teke, Emmanuel Bodinier, Lily Colombet, Jean-François Maruszyczak et Fabien Duquesne

Pierre-Edouard Magnan, Président du Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP), a apporté de nombreux points de vigilance sur le projet de revenu universel d’activité du gouvernement. Soulignant que notre société demande généralement beaucoup d’efforts aux chômeurs, il craint que de nombreuses personnes précaires sortent du radar et disparaissent des chiffres du chômage avec les nouvelles mesures qui se préparent.

« Il ne doit pas y avoir de condition au droit à vivre. Ce n’est pas une aumône qu’on demande, c’est un droit qu’on exige. »

Lily Colombet, chargée d’études pour la fondation Abbé Pierre, a évoqué les questions de logement pour les personnes les plus défavorisées et d’aides au logement. Les APL ne constituent pas des minimas sociaux car elles s’adressent à un grand nombre de personnes (6 millions de ménages), et elles ne sont soumises à aucune forme de contrepartie. Si la consultation est une bonne opportunité pour permettre des avancées sociales, elle ne doit pas générer de perdants notamment chez les personnes précaires.

À son tour, Nicole Teke, membre du MFRB, a rappelé la définition du revenu de base en insistant sur les différences fondamentales avec le revenu universel d’activité. Ni individuel, ni universel et surtout pas inconditionnel, le projet du gouvernement renforce la conditionnalité aux aides sociales et menace d’augmenter le nombre de personnes laissées sur le bas côté (voir notre vidéo sur le RUA).

Retraçant un rapide historique, Nicole Teke a souligné que nous sommes passés d’une logique d’insertion collective avec le RMI à une logique de devoir individuel avec le RUA. Appelant à changer de logiciel pour repenser collectivement un nouveau contrat social, qui soit plus juste et solidaire, l’intervenante a clôturé son intervention en citant l’anthropologue David Graeber : « Le système s’effondre tout autour de nous, précisément au moment où de nombreuses personnes ont perdu la capacité à imaginer qu’autre chose puisse exister. »

Enfin, Emmanuel Bodinier, co-fondateur d’Aequitaz, a revendiqué l’importance de mener des politiques de justice sociale de façon globale, notamment à destination des jeunes et des chômeurs. À un moment révolutionnaire de notre histoire, il faut oser proposer des idées révolutionnaires !

Le revenu de base : les étapes pour son instauration et la construction d’une société plus juste

Lors de la deuxième table-ronde dédiée aux expérimentations de revenu de base en France, trois intervenants ont présenté l’avancée de leurs projets.

Clément Cayol, chargé de mission pour la ville de Grande-Synthe et doctorant, a présenté le Minimum Social Garanti. Après avoir annoncé en 2018 sa volonté d’expérimenter un revenu universel, la ville a mis en place en avril 2019 cette aide sociale facultative qui doit permettre à toute la population de parvenir au niveau du seuil de pauvreté. Cette aide monétaire doit redonner du pouvoir de vivre, de la dignité aux habitants et s’inscrit dans la continuité d’un projet politique qui pense, et pratique, une écologie étroitement liée aux questions sociales.

Marie-Hélène Muller a présenté le projet Tera qui vise à mettre en place dans une zone rurale un revenu de base, versé à 85% en monnaie citoyenne locale, et contre-garanti par une production locale. L’intention est de montrer que celui-ci constitue ainsi un investissement au service d’un développement territorial respectueux des humains et de la nature.

Julien Bayou, fondateur de l’association Mon revenu de base, nous a parlé de l’expérimentation citoyenne menée en France depuis 2017. Son principe est de récolter par financement collaboratif 12 000€ qui permettent par la suite d’assurer pendant un an 1000€ par mois, sans contrepartie, à une personne tirée au sort parmi les inscrits. Six personnes ont déjà pu bénéficier de ces revenus de base et vivre ainsi plus sereinement. L’association souhaite poursuivre son travail et notamment demander une véritable expérimentation en France. Ses membres vont pour cela travailler à la rédaction d’un rapport sur les modalités possibles d’une telle expérimentation en France.

De gauche à droite : Clément Cayol, Marie-Hélène Muller, Julien Bayou, Fanny Deltruel

Ces interventions nous ont permis d’évoquer ce que représente la monnaie, la façon dont nous répartissons l’argent, l’organisation de la production à l’échelle locale et nationale, mais aussi de réfléchir à ce qui est le plus pertinent pour répondre urgemment à la situation des personnes précaires. L’échelle est une question essentielle : quelle communauté doit être concernée par l’expérimentation d’un revenu de base ? Est-il réellement possible de le tester pleinement à une petite échelle ? Par quoi doit-on commencer pour faire peser la balance ? La diversité monétaire à différents échelons est l’une des solutions envisagées, ainsi que l’évolution socio-fiscale au niveau national. L’analyse des dispositifs actuels permettra de cerner les enjeux, d’identifier les éléments qui fonctionnent et ceux qui demandent à être retravaillés……

Enfin, la troisième table-ronde a abordé la nécessité de construire un nouveau modèle de société, en envisageant de quelle façon nous pouvons collectivement poser les bases d’un système plus juste.

Mathilde Duclos, doctorante en thèse politique à Sciences po Paris sur « le revenu universel : un cas limite pour penser la solidarité à la française », a apporté son point de vue critique sur la capacité du revenu de base à réformer en profondeur notre société. Dans une optique individuelle, elle envisage le revenu de base comme un outil pour permettre à chacun·e de devenir la meilleure version de lui ou elle-même, avec des opportunités égales de choisir sa vie. Soulignant la nécessité d’intégrer la relation à l’autre dans ce projet, elle souhaite lui donner une optique de lutte collective et pas seulement d’empowerment individuel.

Si le revenu de base est pensé de façon radicale, dans une optique d’émancipation collective et avec l’optique d’une justice à la fois économique et culturelle, alors, selon Mathilde Duclos, il pourra contribuer à l’avènement d’une société réellement solidaire. Si le revenu de base apporterait une certaine paix sociale, il est néanmoins nécessaire de s’occuper de questions structurelles tout aussi importantes.

Anne-Sophie Olmos, élue à la ville de Grenoble, a présenté la monnaie locale de la ville, le Cairn. Ayant vu le jour en octobre 2017, c’est aujourd’hui la troisième monnaie la plus dynamique de France. L’exposé, porteur d’espoirs et qui a suscité un enthousiasme certain dans l’assemblée, a porté sur ces différentes thématiques : prendre soin du territoire et du bien commun, redynamiser l’économie, accélérer la transition énergétique notamment avec les circuits courts, se réapproprier la monnaie, activer des réseaux de solidarité entre utilisateurs, lutter contre la spéculation, redonner du sens aux échanges, etc. De belles perspectives pour allier mobilisation citoyenne et engagement des élus !

Stanislas Jourdan, co-fondateur du MFRB, membre d’UBIE et directeur de Positive money Europe, a présenté l’idée d’un revenu de base versé à l’échelle européenne. Rappelant que 110 millions de personnes sont actuellement en risque de tomber dans la pauvreté en Europe, et 40 millions dans l’extrême pauvreté, il a aussi souligné l’absence criante de victoires sociales au niveau européen depuis 10 ans. Il y a donc aujourd’hui un enjeu de reconquérir l’Europe par des idées progressives. Les inégalités existent entre les individus, mais aussi entre les pays. Si le revenu de base ne pourrait pas résoudre tous les problèmes qui se posent à cette échelle, il ferait pour autant avancer les questions sociales au niveau européen.

La proposition de l’euro-dividende consisterait à verser un socle de revenu de base à tous les pays (aux alentours de 200€), auquel s’adosserait un revenu de base national en plus des aides sociales nationales. Pour Stanislas Jourdan, il est grand temps de créer un Etat providence transnational, un système de sécurité sociale international, une véritable Europe des peuples.

Enfin, Vincent Liégey, essayiste et objecteur de croissance, a présenté le mouvement de la décroissance. Il a insisté sur la nécessité de nous ouvrir à d’autres possibles, pour construire de nouveaux modèles de société, relocalisés mais ouverts. Face à notre addiction à la croissance (économique, sociale, surtout culturelle), il est important de penser une nouvelle organisation sociale qui répondrait concrètement et efficacement à nos besoins fondamentaux. Vincent Liégey a évoqué la proposition de la Dotation inconditionnelle d’autonomie ainsi que la mise en place d’un revenu maximum acceptable, pour repenser une société qui déconstruit les formes de domination et qui instaure des règles de vivre-ensemble et de confiance entre ses membres.

De gauche à droite : Vincent Liégey, Anne-Sophie Olmos, Stanislas Jourdan, Mathilde Duclos, Raihere Maruhi

Enfin, après des échanges approfondis avec la salle, le sénateur Guillaume Gontard a repris la parole pour clôturer cette riche journée de débats. Le revenu de base est bel est bien le pilier manquant de la protection sociale, alors œuvrons ensemble pour son instauration !

Visionnez l’intervention de clôture du sénateur Guillaume Gontard :

Pour aller plus loin :