Jeudi 14 novembre 2019 au Conseil de Paris (conseil municipal et départemental), le groupe Génération.s présentait le projet d’une conférence de citoyen.ne.s sur l’expérimentation d’un revenu universel dans la capitale. Sur le fond du sujet – le revenu universel -, Léa Filoche, co-présidente du groupe, a argué d’une part que l’emploi se précarise et se robotise de plus en plus, et que d’autre part la pauvreté grandit. Sur la forme choisie pour élaborer l’expérimentation – la conférence de citoyen.ne.s -, elle a rappelé que Paris a déjà utilisé huit fois cet outil de démocratie participative.

Vote du Conseil de Paris pour une conférence de citoyen.ne.s sur l’expérimentation d’un revenu universel dans la capitale, le 14 novembre 2019. Solenne Vaulot Morel, pour le MFRB.
Vote du Conseil de Paris pour une conférence de citoyen.ne.s sur l’expérimentation d’un revenu universel dans la capitale, le 14 novembre 2019. Solenne Vaulot Morel, pour le MFRB.

C’est une procédure stricte, passant par différentes étapes, dont la constitution d’un comité de pilotage et d’un comité de suivi, le choix du prestataire et la sélection d’un groupe de citoyens. En tout, neuf étapes jalonnent la procédure depuis l’énoncé de la question jusqu’à la reddition des comptes. Pour Paris, les conférences de citoyen.ne.s sont gérées par l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP).

La proposition du groupe Génération.s d’organiser une telle conférence sur ce sujet a été votée. Les groupes présents dans la salle du conseil y étaient tous favorables, à l’exception du groupe La République En Marche (LREM), qui a voté contre, utilisant notamment l’argument selon lequel le revenu universel pourrait favoriser une libéralisation sauvage du marché du travail. Cette hypothèse a aussi été soulevée par le groupe Parti Radical de Gauche (PRG) comme un point de vigilance.

Un revenu universel contre la précarité

La grande majorité des groupes présents (du centre à la gauche, pas un seul groupe politique de la droite traditionnelle ne s’est exprimé sur le sujet), se sont prononcés en faveur du revenu de base principalement pour la deuxième raison évoquée par Léa Filoche, à savoir l’augmentation du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté à Paris. Si on en croit les interventions des différents groupes de gauche lors de cette séance, le revenu universel est perçu comme un outil de lutte contre la pauvreté, une « aide » sociale automatisée qui a le mérite de solutionner le problème du non-recours (plus de 30% actuellement). Le groupe Génération.s. a été le seul à présenter le revenu universel comme étant aussi un outil de libération individuelle, permettant des reconversions ou des pauses dans le parcours professionnel.

Le projet d’expérimentation

Léa Filoche, spécialisée dans les questions de solidarité à la Ville de Paris, vice-présidente du centre d’action sociale de la Ville de Paris (CASVP), a présenté le projet en exposant le problème du non-recours aux aides sociales de la ville de Paris. Celles-ci, au nombre de 33, sont peu lisibles, peu visibles et ne sont donc pas utilisées dans leur totalité. Or le CASVP dispose pour ces aides spécifiques d’un budget propre de 250 millions d’euros annuels, totalement indépendant des aides d’État. C’est ce budget qui pourrait servir à financer l’expérimentation d’un revenu universel, qui n’aurait donc pas besoin d’être financée par l’État.

Madame Filoche a pris comme exemple l’expérimentation portée par la ville de Grande-Synthe (un minimum social garanti pour les ménages défavorisés, ajouté aux minimums sociaux existants) et la ville de Grenoble, qui a mis en place une aide automatique à la facture d’électricité.

Concrètement, le projet d’expérimentation ne répondrait pas exactement au terme « universel », puisqu’un budget de 250 millions d’euros ne permettrait pas de donner une somme significative à tous les parisiens. D’autant qu’il ne s’agit pas de spolier les bénéficiaires actuels de ces aides : le projet nécessitera un affinage de ce budget en utilisant seulement la partie non utilisée ou « mal utilisée ». L’idée est donc plutôt, à la manière de l’expérimentation de Grande-Synthe, de compléter les minima sociaux existants pour atteindre un revenu décent.

Concernant la mise en pratique de cette expérimentation, la question se pose de sélectionner soit un échantillon de population, soit un territoire. Léa Filoche s’oriente plutôt vers la deuxième solution et pense particulièrement aux Chaufourniers, dans le 19e, l’arrondissement dans lequel elle est élue. Elle avait déjà pensé à ce quartier pour y expérimenter le dispositif « Territoire zéro chômeur » d’ATD Quart Monde, mais la population, composée d’un nombre important de jeunes et de retraités, ne correspond pas aux prérequis du projet (qui s’adresse aux chômeurs de longue durée).

Portée sociale et politique

Socialement, la portée de cette expérimentation du revenu universel serait relativement limitée. « Encore faut-il que le budget suive » a mis en garde Danielle Simonnet, du groupe La France Insoumise (LFI) lors de la séance du 14 novembre. Les collectivités sont en effet soumises à un cadre budgétaire strict, et même en admettant que le budget dégagé pour cette expérimentation soit conséquent, seul un échantillon de Parisiens pourrait en bénéficier.

Mais par ailleurs, ce projet d’expérimentation est très prometteur. Il permettrait en effet de repenser les dispositifs sociaux de la Ville pour les rendre plus efficaces. À plus long terme, il offrirait aussi l’opportunité d’étudier scientifiquement les conséquences de l’attribution d’un revenu automatisé (à défaut d’être vraiment universel). Rappelons que pour le moment, la seule étude sérieuse sur le sujet est celle d’Evelyn Forget (Université de Manitoba) dans les années 70 sur le projet Mincome de la ville de Dauphin, au Canada.

Léa Filoche a également indiqué vouloir solliciter, en parallèle de cette conférence, une Mission d’Information et d’Évaluation du Conseil de Paris (MIE). Les MIE réunissent tous les groupes politiques du Conseil et travaillent pendant six mois, à raison d’un après-midi par semaine, sur un sujet donné. Si elle a lieu, cette mission pourrait fournir là encore une expertise complète sur le revenu universel et sa possible mise en place.

Politiquement, c’est bien sûr une réelle occasion de distiller l’idée du revenu universel dans la campagne des municipales. Un groupe de travail sera constitué pour travailler sur le sujet en amont. Nous espérons que, quels que soient les résultats électoraux, la conférence de citoyen.ne.s commencera comme prévu en avril prochain.

Quoiqu’il advienne, ce vote du Conseil de Paris ne doit pas passer inaperçu. C’est la preuve que l’idée du revenu universel se répand dans le débat public. Certes il y a encore des confusions, par exemple avec le projet de Revenu Universel d’Activité (RUA), auquel le MFRB s’oppose, et le salaire à vie prôné par Bernard Friot. Mais comme le dit Léa Filoche : « La question, désormais, n’est pas pourquoi mettre en place un revenu universel, mais comment le mettre en place. »