En cette période de crise sanitaire, économique, écologique et sociale, les inégalités se trouvent renforcées et deviennent de plus en plus flagrantes. Dans un tel contexte, le revenu de base revient au cœur des débats. Mais il doit impérativement s’inscrire dans un ensemble de mesures visant à renforcer les services publics, le droit du travail et la sécurité sociale de façon durable.

Le COVID-19, révélateur d’inégalités et d’injustices pré-existantes

Confinement oblige, le travail se réorganise et se vit différemment. Pour certaines personnes, c’est l’occasion de perfectionner ses spécialités culinaires ou de lire enfin tous les livres qui s’empilent dans la bibliothèque. D’autres n’ont pas la possibilité de télétravailler ou d’être au chômage partiel, et doivent continuer de sortir travailler, parfois la peur au ventre. En témoignent par exemple les livreurs des plateformes numériques : « Ce n’est pas une question d’avoir peur ou pas, c’est de la survie ». Ces livreurs servent ainsi de chair à canon pour servir celles et ceux qui peuvent se permettre de payer pour risquer la vie de travailleur⋅euses précaires plutôt que la leur. Cela, pour des services qui peuvent sembler ne pas relever de besoins “essentiels”. Aucun filet de sécurité non plus pour les travailleurs⋅ses indépendant⋅e⋅s, les intermittent⋅e⋅s ou les micro-entrepreneurs⋅ses.

« La priorité, c’est de sauver les entreprises »

Sur les 45 milliards d’euros débloqués par l’État pour cette crise sanitaire, la grande majorité sera dédiée aux entreprises. Seuls deux milliards sont prévus pour l’hôpital. Et rien n’est prévu pour les sans abri, les sans papier, sans parler des associations qui les accompagnent. « La priorité, c’est de sauver les entreprises », a martelé Mme Agnès Pannier Runacher, Secrétaire d’État auprès du Ministre de l’Économie et des Finances, dans le cadre des débats sur la loi de finance rectificative.

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Des emplois indispensables aux « bullshit jobs » : le fossé des salaires

Les premiers de cordée de cette crise sanitaire sont en grande partie des travailleurs dont le salaire – et la reconnaissance sociale – ne sont pas à la mesure des risques encourus. Ce sont majoritairement des femmes : infirmières dans les hôpitaux, aides soignantes dans les EHPAD, aides à domicile, gardes d’enfants, caissières, femmes de ménage1… Mais ce sont aussi des hommes précaires, pour la plupart racisés, tels que les éboueurs ou les livreurs. Autant d’emplois majoritairement sous payés, davantage exposés à des discriminations sexistes et racistes, et pourtant indispensables. L’anthropologue David Graeber en avait déjà fait le constat : il existe une relation proportionnelle inverse entre l’utilité sociale d’un métier et sa rémunération. Autrement dit, dans la très grande majorité des cas, plus votre emploi est indispensable à la société, plus vous êtes mal payé·e2. A contrario, cette période de confinement permettra peut-être de mettre en lumière l’ampleur des bullshit jobs : « Soudainement, les titulaires des métiers les mieux payés nous apparaissent bien inutiles et leur rémunération exorbitante » (Dominique Méda)3.

Le retour de bâton des politiques d’austérité

Les politiques économiques menées ces quarante dernières années ont témoigné de leurs limites. La casse du secteur hospitalier en est un exemple frappant, puisqu’elle a désormais des répercussions sur l’ensemble de la société, alors même que les professionnels de ce domaine tirent la sonnette d’alarme depuis plus d’un an. Le secteur de la recherche publique a lui aussi été saigné au fil des ans par des lois productivistes, de mise en concurrence des chercheur⋅euses. Il s’agit pourtant d’un secteur indispensable à la recherche d’un vaccin, mais aussi à l’analyse socio-économique des conséquences de cette crise, qui permettront d’en éviter de nouvelles.

Les services publics sont exsangues, les inégalités sont criantes, car tout est évalué à l’aune de la rentabilité économique. Dans ce contexte d’urgence, des milliards vont être déboursés, sans garantie pour autant que soient protégées les populations les plus précaires. Nous avons pourtant urgemment besoin de services publics plus forts, de plus de justice et d’équité dans le monde du travail, et d’une sécurité sociale véritablement sécurisante. Un revenu de base peut être un outil de transition – parmi d’autres – vers un système plus juste. Mais il peut aussi, selon la façon dont il est mis en place, servir à protéger et renforcer le système actuel. Perpétuer et aggraver ses problèmes plutôt que de contribuer à y remédier.

Le revenu de base, vecteur de changement ou mesure pansement ?

Au cours de cette dernière décennie, le revenu de base est passé d’une idée utopique et irréalisable, à une mesure de plus en plus crédible. Des pays l’ont expérimenté, certaines personnalités politiques en ont fait leur fer de lance – plus ou moins fidèles à sa définition (c’est-à-dire d’un revenu à la fois universel, inconditionnel et individuel).

Actuellement deux mesures illustrent la récupération sémantique comme le dévoiement de l’idée. En France, le président Macron a choisi d’appeler la réforme – en cours de préparation – des minima sociaux “Revenu universel d’activité”, tout en renforçant le contrôle et les sanctions envers les personnes en recherche d’emploi. Ce qui va à l’encontre même de la philosophie du revenu de base.

Les chèques de 1000$ de Trump : poursuivre le business as usual

Aux États-Unis, dans le contexte de crise actuelle, le président Trump a décidé de prendre des mesures inédites pour soutenir l’économie américaine en distribuant des chèques d’urgence aux Américain·e·s, d’un montant de 1 200 $ par adulte, 500 $ par enfant. Suivant le principe de “l’helicopter money”, il s’agirait d’un plan de sauvetage massif visant à sauver l’économie face à la période de forte récession qui s’annonce. Alors que de nombreux·ses Américain·e·s ne disposent d’aucune couverture maladie et que les frais de traitement du COVID19 s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars, l’administration Trump, au delà de cette mesure ponctuelle et de court-terme, semble davantage prioriser la santé des entreprises.

A contrario, d’autres voix s’élèvent aux États-Unis et proposent de renforcer les filets de protection sociale grâce à la mise en place d’un revenu de base universel, intégré dans un projet de transformation à long terme pour le pays. C’est le cas d’Alexandria Ocasio-Cortez, représentante démocrate du Congrès américain :

« Ce n’est pas le moment de prendre de demi-mesures. Nous devons agir urgemment afin d’éviter les pires conséquences en terme de santé publique et de crise économique. Ceci inclut le paiement d’un chômage partiel, l’allègement la dette, le renforcement des droits des travailleurs·euses, la garantie des soins de santé universels, la mise en place d’un revenu de base universel et la dispense de peines de détention. »

Revenu de base Covid 19 AOC

Le revenu de base pour construire l’après 

L’étymologie du mot crise nous renseigne sur la situation à laquelle nous faisons face. En grec ancien, le mot krisis signifie décision. Celle de mettre en place des roues de secours afin de poursuivre dans les sillons d’une économie néolibérale, ou bien celle d’engager une véritable transformation politique où les conditions d’existence de celles et ceux à même de la faire émerger, c’est à dire nous les citoyen·ne·s, sont assurées. Le revenu de base isolé de tout projet politique s’inscrit dans la première option. A l’instar de plusieurs mouvements et collectifs, le MFRB souhaite au contraire être force de proposition pour engager un changement de trajectoire vers une société solidaire et résiliente, où personne n’est laissé de côté.

Assurer un revenu à tous les individus pour pallier l’insécurité économique à laquelle peu de personnes peuvent aujourd’hui échapper dans ce contexte de pandémie mondiale : c’est ce qu’ont revendiqué plusieurs mouvements et collectifs citoyens dans de nombreuses pétitions relayées du Royaume-Uni à la Suisse, voire à l’échelle européenne, en passant par un collectif d’intermittent·es et d’autoentrepreneur·euses en France. Mais au-delà de répondre à une urgence économique, sociale et sanitaire, l’instauration d’un revenu de base doit avant tout nous permettre de repenser collectivement le sens que l’on veut donner au travail, à l’économie et à l’organisation de nos sociétés. 

Inscrit dans une perspective de justice sociale et de transition écologique, le revenu de base universel reconnaît la centralité du rôle que doit jouer la société civile dans la redéfinition d’un nouveau modèle social, politique et économique qui fait sens pour l’avenir. Le contexte actuel voit émerger plusieurs réseaux d’entraides, des collectifs de citoyen·ne·s qui s’engagent pour construire un projet de société “post-covid19”, basé sur la solidarité et la résilience collective. Pour faire advenir ces changements et conquérir la qualité de vie et la dignité que tout le monde mérite, il semble nécessaire d’assurer un revenu décent et inconditionnel à tout le monde.

« Nous avons de la volonté, de l’intelligence, du courage, de la créativité… Nous sommes capables de mettre en place toutes les synergies possibles. Nous pouvons surmonter ces moments difficiles, en renforçant même la solidarité et la cohésion de notre société. Mais pas sans moyens publics, sans messages clairs, sans soutien financier »

Extrait de “l’Appel des pauvres et des précaires face au coronavirus”

Les crises à venir, qu’elles soient sanitaires, environnementales, économiques ou sociales, pourront être mieux traversées si nos sociétés placent au cœur de leurs fonctionnements la justice sociale et l’écologie. Cela passe par des services publics de qualité, par un droit du travail renforcé qui empêche la subordination à outrance et favorise la liberté de choix, d’activités choisies et non subies. Cela passe aussi par la mise en place d’un véritable socle de sécurité pour protéger nos droits. C’est à cette fin, pour permettre la transition vers une société plus résiliente, que doit servir un revenu de base.


1https://www.revolutionpermanente.fr/Soignantes-caissieres-aides-a-domicile-Des-travailleuses-en-premiere-ligne ?
2Bullshit Jobs, David Graeber (2018)
3https://www.pourleco.com/ca-clashe/debat-des-economistes/dominique-meda-la-crise-du-covid-19-nous-oblige-reevaluer-lutilite