Au beau milieu de la campagne présidentielle, le Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise (CJD) s’était déclaré ouvertement en faveur du revenu de base, inscrit au chapître premier de sa publication “Projet Oïkos”, recueil très fouillé de 12 propositions. Stanislas Jourdan est allé à la rencontre de Michel Meunier, ancien président du CJD, pour en savoir plus sur le cheminement de l’idée dans cette organisation.

Michel MEUNIER, vous êtes un ancien président de la plus ancienne instance patronale de France et étiez en cours de mandat pendant l’élection Présidentielle de 2012. À ce moment-là, le CJD* a produit des propositions à destination des Candidats parmi lesquelles figurait l’allocation universelle que vous aviez intégré alors dans votre projet Oïkos* : pouvez-vous nous en dire plus ?

Depuis les années cinquante, Le CJD a pris l’habitude de formuler des propositions concrètes en période d’élections. Cette année en 2012, nous avons néanmoins opéré différemment en mobilisant notre Think Tank, le « CJD Lab », laboratoire de réflexion, qui auparavant était un organe indépendant du CJD.

Cliquer pour consulter le livre blanc du CJD.

À la faveur d’un remaniement de notre organisation, nous avons choisi de mettre ce « CJD Lab » davantage au service du mouvement en permettant au bureau et à la stratégie nationale de faire appel à lui. Ainsi, nous avons pu travailler avec les personnes du laboratoire ainsi que d’autres personnes amies du mouvement afin de rédiger un véritable projet de société plus juste, plus en phase avec nos valeurs.

C’est ainsi qu’en mai 2010, une équipe provenant d’horizons très divers (économistes, sociologues, entrepreneurs..) s’est formée autour de Eddy Fechtenbaum qui a piloté le projet. Un an plus tard, les propositions élaborées ont été approuvées par le conseil du réseau et le bureau national, et nous avons les avons publiées en novembre 2011, sous le nom du projet “Oïkos”.

Nous sommes ensuite parti en tournée avec 32 conférences de janvier à avril. Le but était d’aller à la rencontre de nos membres, des organisations politiques, patronales, et de la société civile pour pouvoir échanger sur les propositions du CJD. Nos propositions ont également été diffusées à 45.000 exemplaires via le magazine Challenges.

Comment est arrivée l’allocation universelle dans ce projet ?

En fait, déjà dans les années 1980 le CJD s’était prononcé pour le revenu d’existence de Yoland Bresson. Pour vous dire que l’idée n’est pas sortie du chapeau ! Avec certains, nous sommes même allés au Brésil pour étudier la Bolsa Familia. Bref, cela fait longtemps que nous nous intéressons au sujet, et elle est finalement arrivée en proposition numéro un du volet fiscal de notre livre blanc.

Pour le CJD, il s’agit d’un véritable changement de paradigme, et de résoudre l’équation non résolue de la répartition des richesses. Il s’agit aussi de résoudre notre système de solidarité en le rendant plus lisible, plus clair, plus équitable puisqu’il ne l’est pas aujourd’hui – sinon ça se saurait.

Et puis, c’est important de le dire : il ne s’agit pas de donner une allocation universelle aux gens pour exister mais au contraire, parce qu’ils existent, qu’ils sont des êtres humains. Il faut arrêter de donner aux gens parce qu’ils sont miséreux et font la manche, ou pire parce qu’ils feraient “exprès d’être pauvres”. Dans un pays riche comme le nôtre, nous avons les moyens d’avoir un vrai système de solidarité.

Mais peut-on exister avec 400 euros par mois, le montant de l’allocation universelle telle que vous la proposez ?

C’est la proposition du « CJD Lab », et elle est toujours discutable. Mais il faut bien comprendre que notre contrainte était de respecter l’équilibre budgétaire, et donc de rendre à l’euro près ce qui est déjà prélevé : 280 milliards d’euros, selon les calculs très précis de Marc de Basquiat.

Maintenant, il suffit de prélever un peu plus pour distribuer plus ! Ou mieux, l’État pourrait aussi faire des économies pour augmenter l’allocation universelle ! Entre 100 et 130 milliards d’économie sont possibles en France, mais ce n’est pas comme cela que l’on a prévu l’équilibre.

Pour nous, 400 euros [200 euros pour les enfants, ndlr] semble à la fois la somme minimale et juste. Mais ce qui est important, c’est avant tout que cette proposition soit débattue ! Rappelons aussi que notre proposition ne remplace ni les allocations chômage, logement, ni aux retraites, ni à la protection maladie.

Michel Meunier

Justement, comment vos idées ont-elles été reçues par vos interlocuteurs ?

Beaucoup de positif ! Nos calculs n’ont jamais été contestés, bien au contraire : des organisation patronales, des chambres de commerces, d’agriculture sont venues nous voir pour nous féliciter et nous dire que notre travail était extraordinaire. Beaucoup ont été bluffés par la qualité de notre travail.

Plus précisément, que vous ont-ils répondus sur vos propositions ?

Ce qui est frappant, c’est que personne ne nous ait pris pour des fous. Par contre, il est possible que certains nous prennent pour des utopistes… Mais que dire de la réalité d’aujourd’hui si ce n’est qu’elle a grandement besoin des utopies ? Comme le dit Edgar Morin, “le renoncement au meilleur des mondes n’est pas le renoncement à un monde meilleur”. Donc nous devons penser à un monde meilleur et on peut le faire en faisant en sorte que ça soit mieux pour tout le monde.

Et je suis intimement convaincu que ce qu’il y a dans notre projet permet d’impulser une mutation, voire même la métamorphose dont Edgar Morin parle.

Où est le blocage alors ?

Le blocage arrive lorsqu’il faut passer à l’action ou à l’expérimentation, ou lorsque les programmes électoraux sont bouclés.

Le projet Oïkos est construit sur la base de l’intérêt général et du bien commun. Pour vous dire, on a même failli le nommer : “Et la solidarité, bordel?” … Mais les projets politiques, eux, sont construits autour d’une stratégie pour être réélu. À partir de ce moment là, ça ne peut pas coller.

Êtes-vous malgré tout optimiste ?

Le CJD a toujours eu 20 ans d’avance sur les idées. Quand on regarde son histoire, de nombreuses idées du CJD ont finalement été adoptées des années plus tard : la participation, l’intéressement, les comités d’entreprises, la délégation unique du personnel, l’apprentissage, le 1% patronal, la formation professionnelle continue, même les 35 heures expérimentées avec Gilles de Robien avant même que Martine Aubry s’en empare… toutes ces idées viennent du CJD.

Notre projet est une vraie révolution fiscale, mais quelle est l’alternative ? On a pas le choix, donc on ira vers ça. Quelque part, c’est écrit.

À propos du Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprises (CJD)

Le CJD est une association fondée en 1938 par Jean Mersch, et qui a pour vocation de mettre l’économie au service de l’Homme. Les valeurs communes qui animent les adhérents du CJD sont la solidarité, la responsabilité, la loyauté, et le respect de la dignité humaine.

En France, le CJD est présent dans 112 sections, organisées en 17 régions et implanté à l’international dans douze pays. Aujourd’hui, ce sont quelques 4500 membres actifs en France, 2000 à l’étranger, sachant que 75.000 chefs d’entreprises actifs sont passés par ce mouvement.

Mouvement patronal, laïque, apolitique et démocratique mais pas un syndicat professionnel, le CJD ne négocie d’accords mais défend une vision de la place de l’entreprise dans la société. Et à ce titre, le CJD a beaucoup influencé durant ses 74 années d’existence, notamment sur le dialogue social et dernièrement sur la campagne présidentielle.


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