En remplaçant les subventions aux combustibles et aux aliments par des transferts directs à la population, l’État iranien fournit depuis 2010 un revenu à chaque citoyen résidant dans le pays.

Résumé d’une communication présentée par Hamid Tabatabai en juillet 2010 au congrès du BIEN à Sao Paolo. Traduction et résumé de Jacques Berthillier.

Le contexte économique iranien

Le pays est relativement riche et se développe mais avec beaucoup de pauvreté affligeant de nombreuses couches de la population. Des politiques erronées sont en grande partie responsables de l’état des choses mais des réformes récentes ouvrent des perspectives prometteuses. La population s’élève à 75 millions dont les 2/3 sont des urbains. Le revenu par habitant est d’environ 4.500 $ en 2002 avec un coefficient de Gini de l’ordre de 0,44. La pauvreté a baissé, passant de 40% de la population en 1980 à 12% en 2009. La croissance est restée modeste et l’inflation persistante. L’enseignement primaire est quasi universel avec 4 millions d’étudiants dont 2/3 de femmes. Les exportations de gaz rapportent environ 1.000 $ par habitant. Elles financent environ la moitié du budget de l’Etat.

Le pays est loin de garantir les droits sociaux garantis par la Constitution. De nombreux Iraniens restent marginalisés et n’obtiennent pas leur juste part des aides de l’Etat. La majeure partie de l’aide publique se fait par le biais de subventions pour les carburants, la farine, le lait, l’huile, le sucre. L’énergie représente près de 90% des subventions, soit environ 30% du PIB (100 milliards de $/an). Injuste et inefficace, ce procédé a conduit à une consommation excessive d’énergie et à une forte contrebande avec les pays voisins. En outre, ce sont surtout les riches qui en ont profité, 70% du total allant à 30% de la population.

La réforme du système de subvention des prix

Le 23 juin 2008, le Président Ahmadinejad a présenté son plan de remplacement des subventions sur l’énergie et l’alimentation par une subvention en espèces directement versée aux citoyens, accompagné par une réforme de la fiscalité, des douanes, des banques, des assurances, afin de réduire les gaspillages et préserver l’environnement. À l’époque, il a invité les citoyens nécessiteux (les déciles inférieurs) à remplir un formulaire sur leur situation socio-économique. En raison de la crainte de nombreux passe-droits, la proposition de réforme a généré une assez forte opposition obligeant le gouvernement à modifier son projet initial finalement adopté en janvier 2010. Ainsi ont été changées les populations ciblées, le rythme de mise en oeuvre, le contrôle des ressources générées par la réduction des subventions, successions de compromis pour vaincre les oppositions principales.

Au final on est ainsi parvenu à un système ayant les caractéristiques d’un revenu de base pour tous, même si cela n’a jamais été dans l’intention du législateur. Cette expérience est riche d’enseignement car elle montre en quoi l’apport d’un revenu de base est à même de marier justice et efficacité.

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Les principaux points de désaccord et leur résolution.

Notons qu’il existe aussi en Iran divers autres programmes de transferts de fonds, par exemple l’ouverture d’un compte d’épargne pour les nouveaux nés, à hauteur de 1.000$ apportés par le gouvernement. Il est ensuite complété par des versements réguliers et si possible avec la contribution des parents pour l’obtention d’un capital à l’âge de 18 ans.

Il est bon de rappeler aussi que le versement d’un revenu à tous figurait déjà en 2005 dans la plateforme électorale du candidat Karoubi qui s’était engagé à verser à tout Iranien de plus de 18 ans 50 dollars par mois, financés principalement par les exportations de pétrole. Cette proposition fut largement rejetée car considérée comme démagogue, faisant de chaque Iranien un mendiant. Elle fut vite oubliée. Comme dans le plan Ahmadinejad on parle de subventions en espèces, il ne s’agit plus d’une aumône dans l’esprit du plus grand nombre mais le moyen de compenser la perte des subventions auxquelles ils étaient habitués. En outre la nouveauté a résidé dans l’énormité des hausses de prix prévues, de l’ordre de plusieurs centaines de pour cent. Pour éviter les troubles sociaux il a donc fallu distribuer une allocation en espèces élevée. C’est ainsi que sur les économies générées par la suppression des subventions, l’Etat en affecte 50%, soit environ 15% du PIB, aux versements directs aux ménages, l’autre moitié étant versée à l’industrie et à l’agriculture pour compenser le handicap de la perte de subventions.

Le ciblage initial

L’intention première a été de cibler les ménages gagnant moins que la moyenne nationale. Pour en bénéficier les chefs de ménages ont dû venir s’inscrire de façon volontaire auprès de 30.000 centres. Les revenus déclarés ont ensuite été corroborés avec des indicateurs de richesses (surface habitable par personne, possession d’une automobile, niveau de scolarité, prêts familiaux, etc). Les ménages ont alors été répartis en 3 groupes : les 4 déciles inférieurs pour l’obtention du transfert le plus élevé, les 3 déciles intermédiaires recevant un peu moins, les 3 supérieurs ne percevant rien.

Devant le mécontentement de la population accusant le manque de fiabilité du classement ainsi opéré et l’opposition des 30% les plus riches qui ne percevraient rien, il fut décidé de faire machine arrière et d’accorder un droit universel. De l’enregistrement primaire seule subsiste la composition du ménage, mise à jour automatiquement tous les six mois à partir des informations fournies par l’état civil. En décembre 2010, 60 millions de personnes s’étaient enregistrées et avaient fourni un compte bancaire, soit 80% de la population…Six mois après le lancement du programme, à la mi-2011, ce nombre est passé à 72,5 millions, soit 97% de la population.

Le rythme de mise en oeuvre

Il était acquis que le prix des produits autrefois subventionnés devait approcher celui des prix internationaux pour les produits échangeables (carburants et nourriture) et le coût de production pour l’eau et l’électricité. Ainsi les prix en vigueur devaient fortement augmenter, même de 10 fois dans certains cas, d’où l’importante question du rythme de mise en oeuvre. En allant trop vite, ne risquait-on pas de dérégler l’économie et de générer de l’inflation ? Aussi après un long débat et une certaine opposition entre le gouvernement et le Parlement, une mise en oeuvre progressive fut privilégiée, bien que certaines subventions aient été coupées d’un seul coup.

Montant du transfert

C’était un sujet de discussion. Sur un budget de transfert de 100 Mds, 50% serait disponible pour la distribution aux ménages comme nous l’avons vu précédemment. Cela permet une distribution de 70$ par mois et par personne, mais si la mise en oeuvre s’échelonne sur 5 ans, 14 $ seulement seraient alloués la première année, somme dérisoire dans un pays où le salaire mensuel minimum est de 330 $.

Le montant du revenu de base iranien demeure trop bas pour se la couler douce...
Hélas, le montant du revenu de base iranien demeure trop bas pour se la couler douce…

En retardant le lancement de la réforme et en racourcissant les étapes initialement prévues, l’allocation a pu être portée à 45 $ par personne, somme suffisante pour assurer un soutien populaire. Pour une famille de 4 personnes cela représente 180 $, soit plus de la moitié du minimum mensuel de 2011 (330 $). En outre, la hausse parallèle des prix a favorisé des groupes à faible revenu car bénéficiant moins des subventions supprimées sur les produits. Et puis à la mi-2011, le versement a été porté à 72,5 $ (soit environ 22% du salaire minimum) pour 97% de la population, selon une progression plus rapide que celle initialement prévue.

Différences avec un revenu de base

Le revenu de base est un droit légal assurant à chacun un niveau de sécurité économique. En Iran ce revenu calculé par personne (enfants compris) n’a nullement porté sur une allocation fondée sur un droit à un revenu sans contrepartie, mais pour compenser la perte de subventions. Il est né pour corriger les mauvaises allocations des ressources nationales et leur répartition inéquitable. C’est ainsi que cette compensation a permis d’éliminer les subventions sur les prix en général inefficaces.

Il profite à tout Iranien résidant en Iran excepté à ceux qui y renoncent volontairement car ils en contestent le bien fondé. Pour autant, leur choix peut être annulé à tout instant. En sont exclus les Iraniens vivant en dehors du pays car ils ne sont pas touchés par la hausse des prix. En sont exclus de même, les étrangers résidant en Iran, principalement réfugiés d’Afghanistan et d’Irak, pourtant subissant la hausse des prix de plein fouet. Jusqu’à présent (2011) aucun débat public ne s’est engagé à ce sujet.

Bien que ce revenu soit personnel, il est versé au chef de famille. Ce choix est justifié par le fait que le transfert étant de nature compensatoire, il doit aller à la personne responsable du paiement des factures.

En Iran il n’y a pas eu de discussion sur la durée du versement. On peut présumer que les transferts continueront aussi longtemps que l’Iran sera capable de produire assez de carburant, ce qui devrait être le cas pour une décennie ou deux. Le risque le plus important serait celui d’une baisse drastique des prix internationaux du pétrole (fort peu probable) ou plutôt de sanctions entravant les exportations de pétrole.

Les principales oppositions à la réforme ayant principalement porté sur son calendrier et son rythme d’adoption, aucune force d’opposition arrivée au pouvoir ne le remettra en cause.

Observations finales

1. Le remplacement des subventions sur les prix par le versement d’une subvention en espèces a placé l’Iran au premier rang de tous les pays favorables au revenu de base. En proportion du revenu moyen, le transfert est nettement plus élevé que celui versé par l’Alaska à ses ressortissants. En outre les enfants touchent une somme identique à celle des parents. Le fait que l’Iran soit un pays en développement du Moyen Orient, état islamique plutôt qu’un pays européen développé, souligne la pertinence du revenu de base pour un large éventail de pays.

2. Fait le plus remarquable pour l’Iran, le revenu de base s’est mis en oeuvre non par dessein mais par défaut. Ce ne fut pas le résultat d’une politique délibérée mais le résultat fortuit d’un processus visant à réformer un système inefficace et inéquitable de subventions. Il apparaît donc possible de l’instaurer dans le cadre de la poursuite d’un objectif différent.

3. Enfin les spécificités de l’expérience iranienne ne doivent pas être ignorées, celle d’une politique de subvention qu’il convenait de réformer. L’exemple peut servir pour d’autres pays. Il est donc impératif que l’impact de cette expérience soit l’objet d’une étude exhaustive pour l’Iran, afin de l’aider à améliorer la gestion de son programme pour les mois à venir, mais aussi pour sensibiliser les autres nations à cette initiative généreuse, susceptible d’avoir un impact profond sur la vie de plusieurs millions d’individus.


Résumé d’une communication présentée par Hamid Tabatabai en juillet 2010 au congrès du BIEN à Sao Paolo. Traduction et résumé de Jacques Berthillier.

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