Article original de Eillie Anzilotti, traduit par Corentin Blanco pour le MFRB (Mouvement Français pour un Revenu de Base).

On a beaucoup parlé de la fin de l’expérimentation du pays nordique consistant à donner de l’argent à certains de ses résidents, mais le programme était en fait un programme d’aide sociale conservateur qui ne dit rien sur les véritables expérimentations du revenu de base dans le monde entier.

En 2015, le gouvernement Finlandais a annoncé un nouveau programme qui, à première vue, avait l’air d’être une mesure progressiste particulièrement enthousiasmante. A partir de 2017, 2 000 Finlandais ont reçu un revenu supplémentaire mensuel de 560 €. Cela semblait être un pas concret vers la mise en œuvre d’un revenu de base universel – un plancher financier pour chaque individu, sans conditions, assurant une sécurité économique – qui a été largement salué, de Bernie Sanders à Mark Zuckerberg.

Ainsi, lorsque la Finlande a récemment indiqué qu’elle ne poursuivrait pas ce programme au-delà de 2018, plusieurs médias – en particulier le New York Times – l’ont perçu comme un glas pour le revenu de base universel, et « un reflet de l’inconfort du public à l’idée de dispenser les bénéficiaires d’aides sociales gouvernementales de chercher du travail ».

Interpréter de cette façon ce qui s’est passé avec l’expérimentation en Finlande est non seulement erroné, mais c’est aussi faire tort aux autres expériences de revenu de base universel actuellement en cours, de Stockton et Oakland en Californie, en passant par le Kenya et l’Ontario.

Le postulat d’un véritable revenu universel est que les gens sont éligibles qu’ils travaillent ou non. Bien que le seuil de revenu pour recevoir l’allocation varie nécessairement selon le contexte, l’idée est généralement d’aider les gens à franchir le seuil de pauvreté où qu’ils vivent.

En Finlande, le gouvernement n’a accordé l’allocation de revenu de base qu’à des personnes qui étaient déjà au chômage.

« C’est vraiment le plus grand facteur distinctif par rapport à ce qu’est un programme universel de revenu de base », selon Ioana Marinescu, professeur et économiste à l’Université de Pennsylvanie qui étudie les politiques du marché du travail. Et c’était prévu depuis le début, ajoute Marinescu, que l’expérimentation en Finlande se termine à la fin de 2018.

Ce n’est donc pas que le gouvernement supprime le programme : ils choisissent simplement de ne pas le prolonger et de ne pas l’élargir pour les travailleurs pauvres. Les organisateurs de l’expérimentation en Finlande ont démenti l’arrêt prématuré de l’expérimentation, confirmant qu’elle irait bien à son terme en décembre 2018.

Limiter le programme de revenu de base aux chômeurs n’a pas la même fonction que d’inclure toutes les personnes en dessous d’un certain seuil de revenu. En Finlande, les chômeurs ont déjà droit à un ensemble de prestations d’une valeur à peu près égale à celle du revenu de base. La différence dans ce programme expérimental de deux ans, c’est que les gens continuent de recevoir l’allocation de revenu de base même s’ils obtiennent un emploi, tandis que les allocations de chômage traditionnelles disparaissent dès que la personne commence à travailler. « Ces effets de seuil sont toujours un piège » pour Matt Bruenig, fondateur du groupe de réflexion à but non lucratif People’s Policy Project. Ce fonctionnement a un effet désincitatif à l’emploi car même s’ils acceptent un emploi à temps partiel, le revenu supplémentaire pourrait leur coûter leurs prestations, qui sont assez élevées en Finlande.

L’objectif de la Finlande, explique Marinescu, « était de comprendre de quelle manière cela pourrait affecter le comportement des chômeurs pour chercher et trouver un emploi ». Plus tôt cette année, la Finlande a modifié son programme de revenu de base afin de rendre l’allocation conditionnelle à la recherche active ou à l’obtention d’un emploi, ce qui été perçu de manière très impopulaire auprès de la population finlandaise et reflète en réalité des politiques américaines conservatrices de protection sociale similaires.

Par contraste, une partie importante de l’attrait des véritables programmes de revenu de base provient maintenant du fait que les emplois – surtout pour les travailleurs moins qualifiés – ne se sont pas avérés être une source adéquate de stabilité économique. Et comme l’automatisation menace de rendre obsolètes les emplois peu qualifiés comme caissier ou serveur, nous ne pouvons pas continuer à compter sur les emplois pour sortir de la pauvreté. Un revenu de base universel pourrait certainement permettre aux gens de travailler s’ils le souhaitent, mais l’objectif est bien que le bien-être économique soit une garantie pour tous, indépendamment du travail.

Dans un projet, par exemple, Y Combinator Research (la branche à but non lucratif de l’accélérateur de start-up) prévoit de donner à 1 000 habitants d’Oakland à revenu faible ou modéré, 1 000 $ par mois pendant cinq ans. Ceci sans condition et quel que soit leur statut d’emploi, afin d’étudier les effets du revenu de base sur tous les aspects : de la participation électorale à la santé mentale en passant par les habitudes de dépense. “Il s’adresse aux personnes à faible revenu, mais pas seulement aux chômeurs ou à qui que ce soit en particulier “, explique M. Marinescu. “En ce sens, c’est plus proche de ce qu’est un revenu de base universel.”

Mais le programme d’Oakland, bien qu’il se rapproche plus d’un revenu de base universel, ne donne pas encore une image précise de ce à quoi il ressemblerait à une large échelle. Y Combinator compte sur les dons philanthropiques pour financer son expérimentation, mais pour qu’un véritable programme de revenu de base soit mis en œuvre, il faudrait que l’État adopte une approche innovante pour générer le financement du programme. En Finlande, qui publiera une analyse des résultats de leur programme l’année prochaine, le gouvernement a simplement converti ses prestations de chômage conditionnelles existantes en revenu de base inconditionnel, il n’a pas pour autant créé un nouveau régime de financement.

Dans les deux cas, « nous apprendrons comment le revenu affecte les personnes qui le reçoivent, mais nous n’apprendrons pas nécessairement comment les différentes communautés peuvent financer ce programme », note Marinescu. « Pour en faire une véritable politique, il faut obtenir un flux de revenus, ce qui signifie soit réduire les prestations, soit recueillir des fonds avec de nouvelles formes de ressources pour le gouvernement. »

C’est là, affirme Mme Marinescu, que ses recherches sur le programme unique d’allocations universelles de l’Alaska pourraient s’avérer utiles. Depuis 1982, le gouvernement de l’Alaska a envoyé à chaque résident un chèque par an provenant d’un fonds d’investissement établi avec des revenus pétroliers. En 2015, lorsque les prix du pétrole étaient élevés, l’Alaska Dividend Fund a envoyé à chaque personne un chèque annuel de 2 072 $ (1 737€), soit 8 288 $ (6 847€) pour une famille de quatre personnes. Personne ne prétend que cette allocation annuelle est suffisante pour vivre, qu’elle puisse être considérée comme un véritable revenu de base universel (surtout parce qu’elle fluctue avec le prix du pétrole), mais c’est un modèle éprouvé de la façon dont un gouvernement peut percevoir et redistribuer les revenus. Selon Marinescu, l’Alaska pourrait être instructif sur la façon dont les États pourraient imposer une taxe sur le carbone et utiliser les recettes pour augmenter les revenus.

Alors que l’essai du revenu de base de la Finlande a suscité beaucoup d’intérêt parce qu’il s’agit de l’un des premiers programmes sur un plan national à être lancé, sa fin n’est pas un référendum sur l’avenir du revenu de base dans son ensemble.

Le programme de la Finlande, indique M. Bruenig, « n’a jamais été conçu pour être beaucoup plus qu’un coup de publicité, et il est intéressant de noter qu’il provient des dirigeants finlandais actuels de droite qui voulaient finalement utiliser l’allocation comme moyen d’attirer plus de gens sur le marché du travail. Le but a toujours été plus proche de l’objectif conservateur américain : “Mettons-les au travail” », selon Bruenig, mais cela n’a pas nécessité en fin de compte une révision radicale de la structure actuelle des prestations de la Finlande.

C’est pourquoi la Finlande ne peut pas servir de référence pour l’avenir du revenu de base. Pour que le revenu de base fonctionne et s’étende vraiment, il faudra des mesures radicales. Tout ce qui se rapproche trop des politiques conservatrices existantes – comme le programme finlandais – n’est pas le genre de revenu de base que nous recherchons.


Photo : Levi (Finlande), par Thomas Hubaur – Flickr