Il était rond, grisâtre avec des champignons rouges sur toute sa surface.
On aurait dit notre Terre, notre planète malade, pleine d’eczéma. Et cela lui démange, elle a envie de se gratter, de se soigner une bonne fois pour toutes.
Malade de nos abus, malade des émotions négatives que déversaient sur elle tous ceux qu’on avait agressés, transformés, avilis : les plantes, les oiseaux, l’air, l’eau, les animaux, la liste est trop longue à dresser.
J’avais quarante ans quand à l’hiver 2020, il a déferlé sur nous, sans prévenir, comme un tsunami, balayant tout sur son passage.
Maladie de la mondialisation, du tourisme de masse, chacun le rapportant en souvenir d’une croisière, d’un voyage d’affaires ou l’apportant en cadeau à d’autres populations.
Il a réussi là où tous ont échoué depuis la révolution de 1968.
Hippies, écolos, new âge, yuppies, grévistes, gilets jaunes, marcheurs, jeunes, retraités, bobos, cathos, ONG, et j’en passe, tous ont essayé de changer la société. Tous ont échoué dans leur combat qui ne servait que leurs intérêts et leurs idées. Tous voulant accéder à ce dont bénéficie la classe au-dessus en s’asseyant royalement sur la classe en-dessous. Ou sur les autres peuples.

Solidarité, Fraternité, la belle blague ! L’analyse de l’ancien monde par des gens de l’ancien monde ne pouvant qu’apporter des solutions périmées. Soit on était à gauche soit à droite, aucune possibilité d’avoir une analyse transversale, une vision globale.
Aucun pourtant ne voulant entendre qu’il y avait un autre chemin, un autre raisonnement à nos maux que sont l’argent, le statut social, la volonté d’assujettir les autres.
Sortir du combat politique mais se mettre au service de l’humanité, toute l’humanité.

Ce qu’on ne voulait pas voir arriver, ce qu’on n’arrivait pas à concevoir, il nous a mis le nez dedans. Qui ? Non pas un super président, bien que j’admirais le nôtre, pas Spiderman que je vénérais étant enfant, non juste un virus ! Un putain de virus a changé notre monde !
Il s’est propagé à la vitesse qu’on a bien voulu lui accorder : de voyages en voyages, d’incivilité en indiscipline, il a touché tous les peuples. Nous étions tous à égalité, riche ou pauvre, blanc ou coloré, il nous a obligés à regarder nos fautes comme envoyé par un Dieu tout puissant, le jugement dernier avant l’heure.
Durant des semaines, nous avons dû être face à nous même, vivre avec nous-même sans échappatoire possible. Nous avons dû être solidaires, nous avons dû reconnaître l’abnégation de ceux qui nous permettaient de vivre. Et surtout, nous avons pu être payés sans avoir travaillé ! Enfin presque tous. Nous les citoyens légaux.
Pas les personnes vivant en France en toute clandestinité mais si bien intégrées dans nos vies. Elles habitaient à nos côtés, travaillaient dur pour élever nos enfants, construire nos maison, payaient même leurs impôts. Mais là, elles ont été oubliées momentanément durant l’épidémie. Pas de panique, elles allaient retrouver leur travail dès la crise terminée !

Même si cela semblait à certains inimaginable, retrouver le goût du loisir, passer du temps avec ses enfants sans avoir à penser aux factures a ouvert un énorme verrou.
Jeunes et moins jeunes, déconnectés du travail et d’internet, ont retrouvé leur créativité puis leur âme d’enfant.

Lorsque l’épidémie s’est terminée, laissant des millions de familles en deuil, une économie exsangue, ceux qui avaient parié sur un mode de vie prônant la décroissance ont eu le plus de facilité à s’adapter. Pour les autres, il a fallu les thérapies pour devenir résilient.
Sans parler de la difficulté à revenir au travail comme si de rien n’était après des semaines sans hiérarchie.

Alors ce chemin alternatif a commencé à se faire entendre, tout doucement d’abord puis de plus en plus fort. Les questions sociales n’étaient plus abordées sous l’angle du travail. Ni même celle de la démocratie sous l’angle de partis politiques.
Tout le monde voulait s’exprimer, tout le monde voulait participer, personne ne voulait revivre cela.
Il fallait prendre soin de la planète donc consommer local, vivre en circuit court, coopérer, arrêter de polluer avec les transports donc moins de voyages.
Cela peut sembler facile presque cinquante ans plus tard mais à l’époque, il y avait de quoi déstabiliser toute notre économie.
Personne n’arrivait à changer les choses car chaque décision amenait des manifestations monstres. Qui était prêt à arrêter de voyager ? Et comment faire pour les professionnels du secteur ? Comment ne plus dépendre des autres pays ?

Il a fallu cinq ans pour que les gouvernements nationaux européens décentralisent tout le pouvoir.
Ces derniers ne servaient plus qu’à discuter des décisions au sein de l’Union Européenne, de quoi, on ne sait pas toujours.
D’abord sur la base du volontariat, certains territoires plus avancés sur la question se sont lancés. Ils ont pu alors librement expérimenter le revenu de base.
Ce qui, quelques années auparavant avait atterri comme un ovni en pleine élection présidentielle était devenu une évidence.
Ce qui aurait dû devenir la solution devant la difficulté à réformer justement pour tous, là, on ne pouvait qu’applaudir.
Tant de gens ont perdu leur emploi lorsque le virus a bloqué les activités durant plusieurs mois.
Chaque citoyen européen a reçu un montant mensuel, quel que soit son âge. Un montant lui permettant de payer toutes ses charges jusqu’à sa mort. Ensuite pour les besoins non essentiels, il pouvait travailler.
Très vite, les autres territoires ont suivi, voulant éviter un exode de leur population qui rêvait de redevenir oisive et créative.

Personnellement, j’avais déjà près de cinquante ans lorsque j’ai pu en bénéficier.
Cela a eu du mal à passer dans ma ville récemment embourgeoisée des Hauts-de-Seine, celle qui a failli perdre son âme durant la crise.

J’ai eu l’impression de revivre avec ce revenu qui prenait en charge mes besoins de première nécessité. Cette énergie, cette passion que j’avais pour la peinture, j’ai pu la laisser venir, la laisser m’habiter sans me poser de questions. Pas besoin de mécène, de vendre, juste peindre et partager mes émotions. Peindre et faire réfléchir.
Et mon jardin que j’ai planté avec amour et qui me nourrit.
Cela me suffisait, je n’ai pas eu à travailler, en tout cas, pas pour gagner de l’argent.
Je donnais des cours d’art aux plus jeunes et eux m’aidaient pour la récolte et repartaient avec des fruits et légumes.
Ma sœur a continué à travailler pour un salaire mais a vite ralenti car au-dessus de 3.000 € par mois, tout revenait à la caisse de gestion du revenu de base.
Son deuxième appartement a été racheté par la collectivité car un seul logement suffit largement.
Avant 2020, faute de moyens, je ne prenais l’avion qu’une fois par an pour voir mes parents. Une fois qu’ils sont partis, j’ai arrêté. Plus jeune, j’avais visité certains pays mais j’ai perdu l’envie de visiter tous les pays du monde quand j’ai réalisé que j’y rencontrais plus de touristes que de locaux.
Mon plus beau souvenir restera ce voyage en Inde où j’avais été émerveillée par tout ce que je voyais, où j’avais ri face à des situations imprévues cocasses dans les trains, les rencontres improbables, même les indigestions faisaient parti du package !

Maintenant, on ne voyage plus ainsi. D’ailleurs, tout se ressemble maintenant.
J’ai pu le constater il y a vingt ans en accompagnant ma nièce dans un voyage virtuel en Nouvelle-Zélande. On n’a plus les sensations physiques mais on ne détruit plus non plus.
Ce que nous apportait le voyage il y a 100 ans, on le vit maintenant avec le voyage intérieur. On se connecte à soi, on apprend à se connaître.
Très old school, je continue à faire de la méditation par moi-même car je n’aime pas laisser le contrôle à la machine et qu’elle se balade dans mon cerveau. On ne se refait pas ! Evidemment sur certains aspects, c’était mieux avant mais je ne peux le dire ouvertement !

J’ai maintenant quatre-vingt-huit ans, en 2020, j’aurais été considérée comme fragile, victime préférée du virus mais avec les avancées de la médecine et de la technologie, je suis augmentée. Mes souvenirs ne se perdent plus dans les méandres de mon cerveau et tout se connecte rapidement.
Suffisamment pour me souvenir de la bataille contre ce virus en 2020 et les années qui ont suivi.
Tout le monde n’a pas pu arrêter de travailler. Il a fallu faire tourner le pays.
Il y a ceux qui avaient envie de continuer et ceux qui étaient obligés.
Ils n’étaient pas européens, et donc ne bénéficiaient pas du revenu de base.
Ils étaient venus en masse pensant pouvoir en bénéficier mais la citoyenneté européenne ne peut désormais s’acquérir que si les parents sont européens.
J’entends le grondement de ces personnes mais peu veulent l’entendre.

On a besoin d’eux. On vit comme les Louis et les Philippe avec leur cour. On a des robots pour nous aider, mais tout n’a pas pu être sous-traité.
On a encore besoin d’une vraie personne pour changer la couche d’un bébé ou l’accompagner pendant qu’il fait ses premiers pas, ou l’éduquer.
On ne peut pas se fier aux robots pour ces tâches qui nous ennuient.
Et puis, on ne peut pas houspiller un robot, le tripoter en passant, on a encore besoin de vraies personnes pour passer nos nerfs ou jouer au patron.
La technologie peut rétablir les connexions neuronales défaillantes mais pas encore se balader dans nos différents MOI pour en réparer les névroses.

En 2020, notre société a basculé à cause d’un virus et a été forcée d’évoluer afin de prendre soin de chacun, mais pas de tous.
J’entends la vague de la révolution qui arrive. On a fait un grand chemin depuis 2020 mais il n’est pas terminé, ce n’est jamais terminé.

Comme en 2020, tous les signes sont là, je les entends, je les vois, je les sens.

Tant qu’on n’aura pas pris soin de tous, il faudra continuer sur ce chemin et si ce n’est pas en conscience, ce sera en violence.
Mais cette fois, je n’ai pas peur, je me sens immortelle.

La nuit est belle. Là-haut rien n’a changé et c’est bien heureux.
La lune me sourit, répondant à mes pensées, il est temps d’aller me coucher.
Demain est un autre jour.

christellemandjiny@gmail.com