Alors que le gouvernement s’apprête à déposer un projet de loi sur l’Allocation sociale unique (ASU, prévu endécembre 2025), le débat public tourne souvent autour d’oppositions simplistes. Nous vous proposons d’analyser cette réforme à la lumière des besoins réels des personnes, et des enjeux de notre système de solidarité. Pour cela, nous avons choisi de nous appuyer sur les résultats d’un rapport parlementaire, les alertes portées par notre partenaire le collectif Changer de Cap, et l’expérience d’un acteur local de proximité, La Cour des Miracles située à Bellac en Haute-Vienne, et représenté par Marie Colliard.

Objectifs, enjeux et limites du rapport parlementaire

Un rapport de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a été publié en juillet 2025, sur l’opportunité et les modalités de création d’une ASU. Voici ses différents constats :

  • La réforme est davantage fondée sur une harmonisation des bases de ressources que sur une fusion, au sens strict du terme.
  • Le rapport rappelle que, contrairement à ce que suggère le terme “sociale unique”, l’effort n’est pas d’abolir toutes les prestations pour n’en créer qu’une, mais d’harmoniser les règles de calcul des principales aides (RSA, prime d’activité, aides au logement) autour d’un “revenu social de référence” (RSR). Cette base commune vise à rendre les droits plus cohérents et lisibles pour les allocataires.

Objectif : éviter non-recours, améliorer la lisibilité et l’équité

Les deux rapporteures Mmes Nathalie Colin-Oesterlé et Sandrine Runel, mettent en avant que l’ASU, si elle est bien construite, peut contribuer à :

  • faciliter l’accès aux droits en simplifiant les démarches et en pré-remplissant automatiquement certaines données ;
  • réduire le non-recours en rapprochant les aides d’un système plus lisible ;
  • garantir l’équité en assurant que le “gain au travail” soit systématique, quelles que soient la situation familiale ou de logement.

Mais il souligne aussi des points de vigilance :

  • aucune baisse des prestations pour les ménages les plus modestes ne doit être tolérée ;
  • les spécificités de certaines aides (notamment celles liées au logement) doivent être préservées ;
  • la stabilité et la continuité des droits sont essentielles, notamment pour des aides comme les APL dont les modalités de calcul diffèrent de celles du RSA ou de la prime d’activité.

Les résultats montrent que le système actuel est très complexe – avec plusieurs manières de mesurer les ressources, des démarches lourdes et parfois intrusives, et un ajustement des droits parfois décalé dans le temps. La réforme doit donc répondre à ces réalités concrètes pour produire un vrai bénéfice social.

L’éclairage du collectif Changer de Cap 

Du côté de la société civile, plusieurs collectifs alertent sur les risques sociaux liés à l’ASU. Parmi eux, le collectif Changer de Cap a pris position en novembre 2025 : il juge que ce projet comporte des risques élevés pour les plus précaires, notamment si les contours restent flous, et si l’on cherche plus à faire des économies au détriment des garanties sociales.

Les critiques se concentrent sur l’absence de précision des modalités concrètes, et sur le fait que la réforme pourrait masquer des objectifs budgétaires derrière les promesses de simplification. Changer de Cap lutte en effet contre la maltraitance institutionnelle et considère que cette simplification doit servir d’abord à renforcer l’accompagnement humain, et non à réduire les protections existantes.

Regard du terrain : interview avec La Cour des Miracles

Pour compléter ce double éclairage institutionnel et associatif, nous avons recueilli le témoignage de Marie Colliard, co-fondatrice de La Cour des Miracles, une structure qui dispose de l’agrément « espace de vie sociale » par la CAF et se trouve confrontée à des personnes en difficulté.

Marie reconnaît l’intérêt de simplifier l’accès aux droits :

« L’idée de simplifier est tentante, parce qu’il y a énormément de couches administratives dans le système. On a parfois du mal à savoir à quelles aides les personnes ont droit selon leur situation… »

Marie identifie cependant plusieurs limites :

  • un décalage entre les décisions d’en-haut et les besoins du terrain ;
  • des retards ou décalages dans le versement des aides, qui pénalisent les bénéficiaires ;
  • la méconnaissance du fonctionnement du système social (“on n’apprend pas les démarches administratives à l’école”).

Plus globalement, Marie estime qu’il existe une “crise de sens” du système social, où l’on se préoccupe davantage de lutter contre la fraude que d’assurer l’accès aux droits.

Ces constats rejoignent une des préoccupations du rapport parlementaire : si la réforme veut réduire le non-recours, l’enjeu est surtout de rendre le système compréhensible et plus humain, et pas seulement plus automatique.

Une vision plus ambitieuse est-elle possible ?

Marie va au-delà de la simplicité technique et émet une suggestion : « Il faudrait un minimum d’argent pour que tout le monde puisse vivre décemment… de la dignité…et redonner du pouvoir d’agir .»

Ces idées résonnent évidemment avec nos réflexions au MFRB sur un socle social inconditionnel, où la solidarité n’est pas seulement une simple mécanique administrative, mais une affirmation de la dignité humaine.

Pour résumer : mieux vaut enrichir le débat que le polariser !

A travers cette approche multiple, on peut dégager plusieurs enseignements

D’abord, une ambition commune : simplifier un système devenu illisible et lutter contre le non-recours aux droits. L’idée d’un revenu social de référence va dans ce sens, en cherchant à rendre les droits plus compréhensibles et accessibles.

Ensuite, il garder à l’esprit que la simplification administrative ne suffira pas.
Sans garanties sur la continuité des droits, sans protection contre d’éventuelles pertes pour les populations les plus fragiles, et sans maintien d’un accompagnement humain de qualité, la réforme sera inefficace.

L’ASU peut être surtout l’occasion de repenser la solidarité comme un socle commun, plutôt que comme une accumulation de dispositifs fragmentés.

Conclusion

Si elle est débattue au Parlement comme annoncé, l’Allocation sociale unique ne sera pas qu’une réforme technique : elle engage aussi notre vision de la solidarité et le rôle de la protection sociale dans notre société.

Le rapport parlementaire apporte un cadre, les associations et collectifs rappellent les risques, et les acteurs de terrain soulignent la nécessité urgente d’une approche humaniste.
C’est à la croisée de ces regards, donc collectivement, que pourra se construire une réforme juste où la simplification serait un levier et non une fin en soi.

Aurélie Gastineau