« Le devoir d’arracher les misérables à la misère et le devoir de répartir également les biens ne sont pas du même ordre : le premier est un devoir d’urgence ; (…) par la fraternité nous sommes tenus d’arracher à la misère nos frères les hommes ; c’est un devoir préalable ; au contraire le devoir d’égalité est un devoir beaucoup moins pressant ; autant il est passionnant, inquiétant de savoir qu’il y a encore des hommes dans la misère, autant il m’est égal de savoir si, hors de la misère, les hommes ont des morceaux plus ou moins grands de fortune ; je ne puis parvenir à me passionner pour la question célèbre de savoir à qui reviendra, dans la cité future, les bouteilles de Champagne, les chevaux rares, les châteaux de la vallée de la Loire; j’espère qu’on s’arrangera toujours ; pourvu qu’il y ait vraiment une cité, c’est-à-dire pourvu qu’il n’y ait aucun homme qui soit banni de la cité, tenu en exil dans la misère économique, tenu dans l’exil économique ; peu m’importe que tel ou tel ait telle ou telle situation ; de bien autres problèmes solliciteront sans doute l’attention des citoyens ; au contraire il suffit qu’un seul homme soit tenu sciemment, ou, ce qui revient au même, sciemment laissé dans la misère pour que le pacte civique tout entier soit nul ; aussi longtemps qu’il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d’injustice et de haine.»

C’est Charles Péguy qui établit cette distinction politique et morale entre l’impératif absolu d’abolir la misère et l’idéal d’une répartition égalitaire des richesses. Il parle bien de misère, qui est pour lui une défiguration bien plus radicale de la vie que la pauvreté1. Ce terme permet surtout de mieux distinguer la pauvreté “absolue”, caractérisée par des conditions matérielles de vie très difficiles, de la pauvreté relative telle que définie par les organisations internationales. Le « seuil de pauvreté », indicateur clé des études socioéconomiques sur la répartition des richesses, se situe à 60% du revenu médian, soit 1102 euros en 20192. C’est donc une expression des inégalités : ceux dont les revenus se situent sous ce seuil de pauvreté font partie de la fraction la plus pauvre de la population. Mais cela ne dit rien de leurs conditions de vie, cela ne dit rien de l’exiguïté ou de l’insalubrité des logements, de la honte ressentie dans la file d’attente devant la banque alimentaire, de l’électricité coupée, de la crainte de l’expulsion, de l’épuisement et de l’humiliation au quotidien.

À première vue, le revenu de base ne répond pas tant à la question des inégalités qu’à celle de la pauvreté en conditions de vie. Il vise à définir un plancher de ressources auquel chacun a indiscutablement droit sans se préoccuper a priori de la hauteur du plafond. On entend souvent parler de revenu de base « au moins égal au seuil de pauvreté », mais il faudrait préciser : « au seuil de pauvreté actuel ». Il est bien entendu qu’avec un revenu de base, le revenu médian et donc le seuil de pauvreté augmenteraient mécaniquement, et ceux qui se contenteraient (par choix ou par contrainte) du revenu de base se situeraient toujours en-dessous du nouveau seuil de pauvreté. Mais, à système économique globalement identique, la situation d’une personne pauvre avec un revenu de 900 ou 1000 euros, inconditionnel et permanent, reçu automatiquement et de plein droit, est sans commune mesure avec celle d’une personne pauvre avec un RSA de moins de 500 euros réévalué tous les trois mois, assujettie à un strict contrôle social de ses « efforts d’insertion » et parfois même de ses dépenses. Sans prétendre qu’un tel revenu de base abolirait de fait la pauvreté des conditions de vie – d’une part, de nombreux problèmes tels que l’accès à un logement décent et abordable, les déserts médicaux ou l’éloignement des services publics ne seront pas résolus par le revenu de base, d’autre part, le seuil de pauvreté actuel est encore inférieur au Smic, lequel est tout juste suffisant pour se sentir en sécurité économique – il s’agirait tout de même d’une politique ambitieuse de justice sociale. Or, un revenu de base à 1000 euros pourrait être mis en place dès demain, sans remettre sérieusement en cause l’extrême concentration des richesses ni l’indécence des revenus et des patrimoines des plus riches – raison pour laquelle cette proposition est rejetée par une partie de la gauche anticapitaliste, qui refuse de se contenter « des miettes » de la richesse globale.

Cependant, pour instaurer ce plancher de revenu individuel versé inconditionnellement, il faut d’abord collecter l’argent qui va être redistribué. Précisons d’emblée que le problème du financement du revenu de base n’est pas économique, il n’est pas de savoir « combien ça coûte » et si « on en a les moyens », car la réponse à cette question est évidemment oui ; l’enjeu est politique, il est de décider collectivement « qui paye et à hauteur de combien ». Et c’est là que se joue le lien entre revenu de base et inégalités. Premièrement, le revenu de base est le plus souvent conçu comme un mécanisme de redistribution : tout le monde reçoit un montant identique mais chacun contribue à la hauteur de ses moyens. Au bout du compte, certains sont « bénéficiaires nets », c’est-à-dire qu’ils reçoivent plus qu’ils ne contribuent, et d’autres sont « contributeurs nets », c’est-à-dire qu’ils contribuent plus qu’ils ne reçoivent. Le montant du revenu de base, son pouvoir d’atténuation des inégalités et l’effort consenti par les couches moyennes supérieures et aisées pour le financer sont donc intrinsèquement liés. Deuxièmement, le revenu de base s’inscrit fortement dans la philosophie des biens communs et des services publics, de la gratuité et de la richesse socialisée. Le montant du revenu de base doit donc être pensé en relation avec les ressources gratuites accessibles par ailleurs. Aujourd’hui, la Sécurité sociale en France assure (en théorie) l’égal accès de tous et toutes aux soins et à l’éducation. L’Etat assure aussi des services publics, parfois payants mais relativement peu chers, proposant des tarifs sociaux et échappant à la logique du profit. De nombreux mécanismes de gratuité totale pourraient être envisagés, concernant les transports, l’eau et l’énergie, l’alimentation… Ces mécanismes de socialisation et de partage équitable des richesses s’opposent à ceux de la privatisation et de la maximisation des profits. Au-delà du montant du revenu de base, c’est donc la proportion de richesse qu’une société accepte de mettre au pot commun qui détermine en grande partie le niveau de concentration de cette richesse et donc les inégalités.

Le rapport aux inégalités, marqueur des différentes propositions de revenus de bases

Il est tout à fait possible de mettre en place un revenu de base qui augmenterait les inégalités, dans une perspective néolibérale : d’un montant tout juste suffisant pour survivre, ce revenu serait financé par la suppression de la Sécurité sociale et des services publics, entraînant la privatisation des systèmes médicaux et éducatifs. Le revenu de base serait réduit à un solde de tout compte destiné à acheter la paix sociale à peu de frais, dans un monde cauchemardesque où la propriété privée et la mise à profit économique des ressources étendraient leur empire sur tous les aspects de la vie.

Nous envisageons au contraire le revenu de base comme un nouveau droit social et humain, sur le même modèle que les droits aux soins, à l’éducation, à la retraite ou encore à l’existence en dehors de l’emploi rendue possible grâce au Droit du Travail (durée légale du temps d’emploi, salaire minimum, congés payés, etc). Les minimas sociaux actuels non seulement ne permettent pas d’abolir la misère (en raison de leur faible montant, du non-recours, des radiations), mais en plus stigmatisent fortement leurs bénéficiaires, qui font l’objet d’un contrôle administratif sur de multiples aspects de leur vie et d’une suspicion généralisée d’être des « profiteurs », de « ne faire aucun effort » ou encore de « mal dépenser leur argent ». C’est pourquoi il est nécessaire de sortir de la logique de l’assistance ciblée des plus pauvres pour basculer vers une logique de droit à un revenu suffisant pour l’inclusion de tous et toutes dans la vie sociale. Le revenu de base est ici pensé comme une réforme transformatrice, pour renforcer et améliorer la capacité protectrice de notre modèle social et atténuer les inégalités dans la distribution des revenus primaires via la redistribution (toute proposition de revenu de base qui dégraderait la situation des plus pauvres et rognerait sur les droits sociaux est donc fermement rejetée). Mais il ne s’agit pas de viser directement une révolution politique et culturelle pour instaurer une société radicalement égalitaire. Un revenu de base élevé (d’un montant situé entre le seuil actuel de pauvreté et le Smic) ouvre la porte vers une profonde transformation du système productif et de la place de l’emploi dans la vie sociale, via des changements de vie individuels et des mobilisations collectives, mais il est difficile de prévoir l’ampleur et la rapidité de cette transformation. Autrement dit, lorsque la lutte pour le revenu inconditionnel aura porté ses fruits, ce sont d’autres luttes qui poursuivront le combat contre les inégalités. C’est exactement dans cette perspective que se situe la proposition d’Allocation universelle d’existence portée par Guy Valette3. Cette allocation, d’un montant minimal de 900 euros par adulte, se substituerait à toutes les aides conditionnelles versées actuellement par l’Etat (à l’exception des aides liées au handicap). Elle serait administrée par une nouvelle caisse de la Sécurité sociale (la Caisse d’Allocation Universelle d’Existence qui remplacerait l’actuelle Caisse d’Allocations Familiales) et financée par une cotisation spécifique adossée aux salaires et aux patrimoines (taxe sur l’actif net). L’AUE s’inscrirait donc pleinement dans la philosophie et les mécanismes du système actuel de protection sociale, dont elle réaffirmerait l’ambition et consoliderait le fonctionnement global.

Enfin, il existe des alternatives au revenu de base s’inscrivant dans une perspective post-capitaliste qui pensent d’emblée la question des inégalités en associant le revenu minimum inconditionnel à un revenu maximum. C’est le cas des projets décroissants basés sur la notion « d’espace écologique des revenus » : la Dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA)4 ou le revenu suffisant théorisé par Baptise Mylondo5. Ils s’appuyent sur le constat que les ressources sont limitées : accumuler trop de richesses revient donc à spolier les autres et à piller et polluer indûment la nature. L’exigence de justice écologique et sociale impose donc de répartir ces ressources de manière la plus égalitaire possible : chacun se limite dans sa possession afin que tous aient accès au nécessaire. C’est aussi le cas du projet de salaire à vie porté par Bernard Friot6 et le Réseau salariat, qui consiste à généraliser le salaire à la qualification personnelle à toute la population (à partir de 18 ans). Il part du constat que ce sont aujourd’hui les actionnaires et les prêteurs qui décident ce qui est produit et comment, et que les employés, assimilés à des “mineurs sociaux”, n’ont presque aucun mot à dire sur la politique économique. L’exigence de démocratie impose de reconnaître chaque citoyen comme producteur de valeur économique, et à ce titre capable de participer à la délibération collective sur les orientations économiques. Le point commun de ces différents projets est de remettre profondément en cause voire d’abolir la propriété lucrative et le marché de l’emploi comme principes organisateurs du système productif. Dans le projet décroissant, le travail et la coopération se réorganisent massivement hors des logiques marchandes, même s’il peut subsister un marché de l’emploi avec un temps d’emploi très réduit. Dans le salaire à vie, la production marchande est conservée, mais les travailleurs restent en toutes circonstances titulaires de leur salaire et (co)propriétaires d’usage de leurs outils de travail. Les causes des inégalités économiques (héritage, hiérarchie des salaires, profits) sont donc très atténuées, et le revenu ou salaire inconditionnel n’est plus conçu comme une redistribution mais bien comme un revenu primaire, reconnaissant la contribution de chacun à la vie économique et sociale.

Les inégalités sont d’abord politiques

La force des propositions de revenu inconditionnel inscrites dans une perspective anti-capitaliste, et en particulier du salaire à vie, est donc de penser les inégalités de richesse et la concentration des capitaux non pas seulement comme un problème de justice sociale, mais comme une entrave à la démocratie. Les questions économiques – Que voulons-nous produire collectivement et comment ? Comment sont réparties ces richesses produites ? Quelle est la valeur du travail de chacun dans ce processus de production collective ? – sont en effet éminemment politiques.

La loi de l’offre et de la demande qui régit nos économies de marché suppose que les échanges marchands sont en eux-mêmes une forme de délibération démocratique : si un objet est commercialisé, c’est qu’il répond à une demande légitime ; plus une ressource est rare plus elle est chère, donc moins les individus peuvent en acquérir une grande quantité ; etc. Mais cette fiction d’une société atomisée en individus totalement libres et éclairés, poursuivant séparément les uns des autres leurs intérêts propres, est aveugle aux rapports de pouvoir qui la traverse.

D’une part, produire nécessite de disposer d’outils de production, et donc de capitaux à investir. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui le système productif repose massivement sur des infrastructures gigantesques et complexes qui nécessitent d’énormes investissements. Or, personne n’ignore que les capitaux privés sont toujours plus concentrés en un nombre réduit de mains. L’offre est donc contrôlée d’une part par l’Etat, autrement dit la classe politique, à travers les services publics (financés par l’impôt) et les entreprises nationales ; et d’autre part les détenteurs de capitaux, autrement dit la classe capitaliste. Un aspirant entrepreneur porteur d’un projet doit donc commencer par convaincre des investisseurs ou des banquiers de lui donner une chance, et donc se soumettre à la contrainte de rentabilité du capital. La grande majorité de la population se compose d’employés contraints de se satisfaire de leur emploi, quel qu’il soit, car il constitue leur moyen de subsistance ; et d’indépendants qui dans de nombreux secteurs travaillent sans compter pour rembourser leurs emprunts, et qui subissent la concurrence et les crises. Et tout en bas de « l’échelle sociale » se situent celles et ceux qui non seulement sont contraints de vendre leur force de travail mais qui en plus ne disposent pas des capitaux « symboliques » négociables sur le marché de l’emploi, et donc subissent les conditions d’emploi les plus dégradées (contrats précaires, salaires faibles, temps partiels subis, horaires fractionnés, évaluation permanente et strict contrôle du travail effectué, mise en compétition entre employés ou mise au service du « client roi », etc.), quand ils ne sont pas au chômage. Cette exploitation particulièrement brutale se construit sur des discriminations multiples, puisque les femmes et les personnes racisées, pas ou peu diplômées y sont particulièrement exposées.

D’autre part, le contrôle de la demande est extrêmement asymétrique. Lorsqu’un produit innovant et généralement coûteux arrive sur le marché, seuls les plus riches peuvent l’acheter. La motivation initiale à acheter ces nouveaux objets relève souvent de la volonté de distinction sociale, exacerbée par la publicité, plus que de la valeur d’usage que ces objets procurent. Plus l’objet se diffuse chez les plus aisés, plus il attire la convoitise des classes moyennes. Au fur et à mesure que la demande et donc la production augmentent, le coût diminue et l’objet devient accessible à de plus en plus de foyers. Progressivement, il acquiert le statut de bien de consommation courante et la structure matérielle de la société se réorganise en fonction de lui, le rendant de plus en plus indispensable. C’est ainsi qu’aujourd’hui, des objets coûteux tels que la voiture, les appareils électroménagers, l’ordinateur, le smartphone sont pour beaucoup d’entre nous indispensables pour travailler et mener une vie normale. Et les plus modestes sont contraints à des arbitrages budgétaires toujours plus difficiles pour suivre le mouvement de cette consommation obligatoire.

En somme, les élites économiques et politiques, qui font cause commune depuis des décennies et dont les intérêts ne reflètent pas vraiment l’intérêt général, détiennent le pouvoir sur le système productif7 ; les marges de manœuvre des citoyens « ordinaires » pour se soustraire à ce système et proposer des alternatives sont extrêmement faibles ; et les classes populaires subissent la double peine de la pauvreté et de l’exploitation la plus crue.

Dans sa version réformatrice, le revenu de base octroie aux citoyens un contre-pouvoir face aux structures productrices que sont l’Etat et les grandes entreprises qui détiennent le pouvoir d’objectiver tant les besoins que le travail. Il libère du chantage à la survie et de l’obligation de consentir à des emplois dégradés ou absurdes pour « gagner sa vie ». Il réhabilite la subjectivité et la capacité de choix, donne à chacun la possibilité de refuser sans se mettre en danger ni craindre pour sa survie : refuser de collaborer à des productions inutiles ou nuisibles en démissionnant ; refuser le statut d’employé pour se lancer dans l’entreprenariat ou s’investir dans des productions non marchandes ; refuser la dégradation des conditions de travail dans les services publics en luttant par la grève. C’est donc un droit politique qui pose le cadre d’un vaste débat en acte sur la production (une entreprise ou un secteur qui ne parvient plus à embaucher périclitera), sur les conditions de travail (un emploi qui ne trouve pas preneur devra être revalorisé ou partagé), et plus largement sur le sens et la place des activités productives dans la vie collective en amenant chacun à se poser la question : « pourquoi travaille-t-on ? et plus encore, pourquoi subit-on la contrainte de l’emploi ? ».

Mais si les citoyens auront la possibilité de se soustraire à l’exploitation et de refuser de collaborer à un système productif absurde, injuste et insoutenable, quelles seront leurs possibilités concrètes de construire des alternatives ambitieuses et de faire émerger ces alternatives comme nouveau système ? Les militants anti-capitalistes, dont le Réseau salariat, formulent une critique sévère : dotés d’un revenu mais privés de la maîtrise des outils de production et des investissements, les citoyens seront réduits à l’impuissance et à leur statut de consommateur. Toute production alternative se développera dans les marges du système capitaliste, ou, lorsqu’elle atteindra une dimension critique, sera récupérée par lui. La société se scindera entre une armée de travailleurs bénévoles d’autant plus investis qu’ils auront l’illusion de contribuer au bien commun et de réinventer le monde, une classe d’employés aspirant à gagner plus que le minimum vital, qui ne sera pas moins exploitée qu’avant, et une poignée de capitalistes qui garderont les commandes de chaînes de production toujours plus automatisées. C’est pourquoi, dans une optique de sortie du capitalisme, le revenu/salaire universel et inconditionnel n’est pas posé comme une première marche de la transition. Au contraire, il faut d’abord édifier les institutions salariales (mesure de la valeur par la qualification personnelle, généralisation de la propriété d’usage, affectation de toute la valeur ajoutée aux caisses de salaire et d’investissement) qui remplaceront les institutions capitalistes et institueront chacun comme producteur de valeur économique : l’instauration du salaire à vie sera l’aboutissement logique de cette transformation.

Cette critique fait tout à fait sens, et il est bon que nous (militants du revenu de base) la méditions pour affûter notre argumentation. Mais le revenu de base en tant que tel n’est pas un projet politique révolutionnaire. Il ne prétend pas venir à bout du capitalisme à lui seul. Il n’est qu’une étape sur la bataille jamais achevée de l’égalité politique, une réponse forte aux scandales de la misère et de l’exploitation. Dans le contexte actuel, construire une majorité politique autour de ce projet est une tâche ardue mais pas impossible. C’est d’ailleurs dans cet objectif que nous soutenons des propositions certes insuffisantes mais qui sont autant d’étapes sur le chemin de notre ambition (extension du RSA aux 18-25 ans, mise en place d’un revenu minimum garanti…). On peut même dire qu’il est probable qu’une forme ou une autre de revenu de base, même très imparfait, soit mis en place dans les prochaines années : il y aura donc un enjeu stratégique à peser dans les négociations sur le montant, le financement ou encore le degré d’universalité et de conditionnalité, pour que ce revenu soit le plus émancipateur possible. En s’opposant en bloc au droit au revenu sous prétexte de complicité avec l’ordre inégalitaire (dont la capacité de résistance est de toute façon colossale), en refusant de distinguer entre ses différentes versions, on se prive donc de la possibilité d’essayer de construire un droit au revenu “suffisant” qui améliorerait concrètement et significativement la vie de millions de personnes et changerait probablement la société tout entière.


1. Le manque du nécessaire, l’en-deçà du minimum vital et la privation de droits humains sont d’un autre degré de violence que de devoir se contenter du strict nécessaire et de ne pouvoir accéder aux loisirs et au superflu, de consommer « autant que les autres » (bien que dans notre société qui valorise ostensiblement la satisfaction du moindre désir et les loisirs marchands, être exclu de cette consommation hédoniste puisse légitimement inspirer le ressentiment). Contrairement à la misère, la pauvreté est ambivalente : depuis des siècles, le catholicisme en fait une vertu, et plus récemment des penseurs et militants critiques de la société industrielle ont entrepris de réhabiliter la « pauvreté choisie », la « sobriété heureuse », ou encore « l’abondance frugale ».

2. https://www.inegalites.fr/A-quels-niveaux-se-situent-les-seuils-de-pauvrete-en-France

3. Guy Valette, L’allocation universelle d’existence, la protection sociale du XXIème siècle, éditions Utopia, 2021

4. Liegey, S. Madelaine, C. Ondet et A. I. Veillot, Un projet de Décroissance , éditions Utopia, 2013

5. Baptiste Mylondo, Pour un revenu sans condition. Garantir l’accès aux biens et aux services essentiels, éditions Utopia, 2012

6. Bernard Friot, L’enjeu du salaire, éditions La Dispute, 2012.

7. La doctrine communiste, dans sa version étatiste (planification étatique de la production) n’est généralement pas plus démocratique que la doctrine capitaliste de régulation par la loi de l’offre et de la demande. En théorie, en démocratie représentative, l'Etat est l’émanation du « peuple » à travers les élections au suffrage universel. En pratique, la classe politique est presque toujours oligarchique. Même démocratique, l’Etat est travaillé par une volonté de puissance qui se manifeste plus ou moins explicitement à travers des politiques productivistes, natalistes ou encore impérialistes (influence militaire mais aussi culturelle), et qui coïncide rarement avec la « volonté générale » ou l’aspiration des citoyens à simplement bien vivre. Ainsi, on peut légitimement se questionner aujourd’hui sur le fonctionnement des services publics que sont l’éducation et le soin : jusqu’où sont-ils au service de l’émancipation et de l’épanouissement des citoyens ? jusqu’où sont-ils au service de leur employabilité pour garantir la performance nationale imposée par la compétition internationale (compétition économique mais aussi politique à travers les classements établis par les institutions internationales sur les performances des systèmes scolaires et de santé des Etats) ?

Initiative citoyenne européenne

Signons l’initiative citoyenne européenne pour un revenu de base inconditionnel et suffisant, devenons une force politique et pesons sur les élections en France de 2021 et 2022 en tant que citoyens électeurs.

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