Le 6 juin, 13 départements, à l’initiative de la Gironde, se sont réunis à Bordeaux pour présenter leurs scénarii d’expérimentation de revenu de base. Si leurs propositions sont un bon premier pas, elles n’ont pas l’ambition d’un revenu de base universel, inconditionnel et individuel. 

Objectif des départements : priorité à la lutte contre la pauvreté

Les présidents des conseils départementaux présents ont chacun rappelé les situations diverses, souvent difficiles, de leurs territoires : augmentation de la pauvreté chez les 18 – 24 ans, emplois sans réelles perspectives, inégalités croissantes entre territoires ruraux, petites villes, quartiers périphériques qui souffrent et métropoles en pleine expansion qui monopolisent la richesse économique.

Tous les participants se retrouvent sur ces constats. S’il existe en France une aide publique importante pour les bas revenus, l’organisation socio-fiscale, d’une profonde opacité, est difficile à comprendre. Les politiques sociales contiennent la pauvreté, mais elles ne la réduisent pas, en raison de leur complexité et des inégalités territoriales. On assiste à une mutation de la responsabilité collective (c’est à la société de mettre fin à la situation de pauvreté) vers un système de responsabilité individuelle (c’est à chacun d’œuvrer pour sortir de sa pauvreté). De sorte que de nombreuses personnes potentiellement admises à bénéficier de ces aides ne les réclament pas, par méconnaissance, mais aussi pour éviter la stigmatisation.

Le taux de non recours au RSA par exemple est anormalement élevé (34%). Notre système socio-fiscal très hétérogène et très peu lisible, notamment en cas de modification de situation (passage au chômage par exemple), se caractérise par son inefficacité.

Les départements cherchent à pallier l’insuffisance des moyens sociaux pour résorber la pauvreté. C’était l’objectif réel de cette réunion.

Ces constats ont amené les présidents de départements à se regrouper pour étudier ensemble la possibilité d’expérimenter un revenu de base sur leurs territoires, avant d’imaginer une extension possible au niveau national.
Les départements s’appuient sur les propositions de la Fondation Jean Jaurès et de l’Institut des Politiques Publiques (IPP), qui prennent en compte trois variables : l’âge, les aides à conserver ou non, les différences de dégressivité.

L’IPP retient les critères suivants, acceptables dans le cadre d’une expérimentation, à savoir : dégressivité, automaticité, régularité, inconditionnalité (entendue comme la non-obligation de rechercher un emploi à n’importe quel prix), et la familiarisation (le revenu de base est attribué à la famille et non à l’individu). Les recommandations de l’IPP penchent pour une expérimentation d’une durée de deux ans pour une population de 20 000 personnes.
Il s’agit ici d’une vision purement administrative de refonte partielle de l’existant, à la recherche d’une meilleure efficacité.

Deux questions s’attachent à cette réflexion : parle-t-on vraiment d’un revenu de base ? Quelles leçons peut-on tirer d’une expérimentation ?

Le MFRB était invité à débattre de l’expérimentation sur Public Sénat

Les 13 départements proposent une expérimentation de revenu minimum, pas de revenu de base

Les propositions portées par les 13 départements sont de réelles améliorations par rapport au RSA actuel car elles introduisent plusieurs notions : automaticité, régularité et inconditionnalité (non-justification de retour à l’emploi).
Mais la proposition des départements inclut une dégressivité qui soustrait du montant versé les revenus d’un emploi, comme cela se fait dans l’expérimentation en cours en Finlande. Cela entre en opposition avec l’idée d’inconditionnalité. Les départements précisent que ce nouveau dispositif ne devrait en aucun cas conduire à diminuer le montant des aides déjà perçues.

Enfin, alors que la concertation citoyenne avait plébiscité une individualisation du revenu, les départements se tournent finalement vers un versement au ménage. Cela pour des raisons d’impossibilité de tester une modification du système socio-fiscal dans un cadre expérimental.

Le revenu de base, tel qu’il est porté par le Mouvement français pour un revenu de base et par la plupart des militants de cette idée en France et dans le monde depuis des décennies, ne se reconnaît pas dans la description ci-dessus. Rappelons ses caractéristiques : c’est un droit inaliénable ; il est inconditionnel, c’est-à-dire qu’il ne contraint pas celui ou celle qui le perçoit à rechercher un emploi salarié, mais aussi, il exclut toute inquisition dans la vie d’un individu pour en connaître les ressources, la situation familiale, etc. ; il est individuel, universel, cumulable avec d’autres revenus et s’exerce tout au long de la vie. Par ailleurs il ne peut constituer une régression en matière de protection sociale par rapport à la situation d’aujourd’hui.

Nous voyons que l’écart avec la proposition des départements est important et les points d’accord qui existent sont insuffisants pour que la proposition des départements constitue un revenu de base.

D’autre part, la valeur d’une expérimentation en tant que telle est de nous éclairer sur l’impact d’un revenu de base sur une population. Si la proposition des départements ne peut être qualifiée de revenu de base, elle peut néanmoins être étudiée en grandeur réelle, avec un échantillon adéquat. Plusieurs paramètres viennent contrarier les effets représentatifs d’une expérimentation. La valeur de l’échantillon et le type d’expérimentation sont déterminants.. Le revenu de base étant envisagé comme une mesure sociétale il semble que le tirage au sort de 20 000 personnes comme cela est préconisé par l’IPP ne permettrait pas de saisir les effets communautaires de la mesure. Des expérimentations passées au Canada ou en Inde ont montré l’importance des effets sociaux communautaire de la mesure, or ceux-ci ne peuvent se manifester que dans l’interaction entre des personnes concernées par ce revenu de base.

Ainsi le MFRB préconise des expérimentations sur site de saturation (commune, bassin d’emploi) pour mettre en évidence d’autres effets que les simples effets individuels. Dans le cas inverse, l’universalité est mise à mal, les résultats sont biaisés et le traitement final ne peut être généralisé.

Défendons un véritable revenu de base

La volonté affichée d’expérimenter un revenu minimum par les 13 départements est à saluer dans sa volonté de pointer les principaux défauts du RSA actuel : le non-recours dû à un conditionnement administratif lourd et stigmatisant, ainsi que l’exclusion des jeunes de 18 – 25 ans de ce système, pourtant particulièrement touchés par la pauvreté.

Or, il est à notre sens préjudiciable de dévoyer l’idée du revenu de base en lui donnant une définition nouvelle, alors qu’elle est encore mal comprise et connue par le grand public.

Le pragmatisme affiché par les présidents des 13 départements, suivant les préconisations techniques de l’Institut des Politiques Publiques, masque certainement un excès de prudence politique vis-à-vis de la mesure.

Le MFRB est conscient néanmoins de la volonté sincère de la plupart des présidents des départements de promouvoir le revenu de base sur leurs territoires. C’est pourquoi nous les appelons à envisager la proposition d’expérimenter un véritable revenu de base, universel, inconditionnel et individuel, sur site de saturation, c’est-à-dire à l’échelle d’une communauté, d’un village, d’un quartier ou d’une ville.

Le MFRB se tient à disposition pour contribuer au projet des départements, s’ils le souhaitent.