Et si on versait au maximum le revenu de base en monnaie citoyenne locale ? Dans la lignée de l’expérimentation d’Otjivero, l’association Tera, avec ses volontaires et ses partenaires, ont lancé depuis deux ans un projet sur dix ans qui vise à construire un Ecovillage expérimental. 

Sa finalité sera de relocaliser 85% de la production vitale à ses habitants, d’abaisser son empreinte écologique à moins d’une planète, de valoriser cette production en monnaie citoyenne locale (Voir plus bas) et d’émettre cette monnaie via un revenu d’autonomie d’un euro supérieur au seuil de pauvreté. Chaque mois, il sera versé à tous les habitants, indépendamment de leur temps passé à réaliser la production qu’il permettra d’acheter.

Au cœur du sud-ouest, dans une zone rurale à revitaliser, sur une commune de moins de 200 habitants, sur douze hectares de forêt et de terres agricoles, se construit sur vingt mois le patrimoine de communs productifs capables, en optimisant au maximum l’usage des ressources naturelles, d’assurer chaque mois les effets d’usages vitaux à ses habitants qui pourront alors y accéder grâce à ce revenu d’autonomie.

Un conseil scientifique et technique mesurera ses effets sur l’émancipation des habitants et la contribution effective de leurs activités devenues choisies au développement soutenable et au renforcement de la cohésion sociale de leur territoire de vie. Si au bout de trois ans d’expérimentation, les objectifs initiaux sont atteints, un centre de formation en participation libre et conscience sera créé et toutes les technologies, méthodes et informations issues de cette expérience seront mises à disposition gracieusement sous licence libre.

Définition & précisions

Qu’est-ce qu’une monnaie citoyenne locale ? 

Une monnaie citoyenne locale (MCL) est un moyen d’échange à forte valeur écologique et sociale. Elle privilégie sa circulation entre acteurs proches de sa source d’émission. Les MCL sont convertibles entre elles, via une unité de compte commune, afin d’étendre leur circulation à ce que l’on nomme un territoire de valeurs et à leurs acteurs toujours respectueux des humains et de la nature.

Entrer dans ce territoire de valeurs signifie pour un acteur d’être agréé par un conseil représentant toutes les parties prenantes de ce territoire. Cet agrément sera fondé sur une démarche de progrès de ses membres vers des pratiques toujours plus respectueuses des humains et de la nature.

Un revenu de base en MCL, quels enjeux ? 

Si, pour le secteur marchand, les MCL sont contre-garanties par un dépôt en euros sur un compte épargne éthique, afin de respecter le code monétaire et financier, d’autres, pour le secteur non marchand, utilisent le temps ou d’autres unités de valorisation de leurs échanges.

Les MCL tendent à vouloir réconcilier ces deux formes d’activité. Chaque acteur peut alors valoriser ce qui compte le plus pour lui. Verser un revenu de base au maximum en MCL est un moyen de réunir ces deux formes d’activité en supprimant tout rapport de soumission de l’une à l’autre. Afin de simplifier cet article, nous parlerons de revenu d’autonomie (R.A.) quand un revenu de base sera versé au maximum en MCL.

Un revenu d’autonomie, pour une transition écologique, sociale,économique et financière

Au-delà d’un revenu de base versé en euro, quels sont les autres facteurs d’émancipation d’un revenu d’autonomie ?

Parce qu’il va au bout de la déconnexion du revenu de base de la participation directe de son bénéficiaire à une production vendue en euros sur un marché qui en est la contrepartie, le revenu d’autonomie favorise cinq nouveaux facteurs d’émancipation.

  1. Il favorise une production qui satisfait prioritairement les besoins vitaux de ses bénéficiaires, et cela durablement car les acteurs pouvant recevoir cette MCL sont agréés pour leur pratique visant le respect des humains et de la nature.
  2. Il favorise des circuits courts qui commencent dans la maison de celui qui fait le choix de l’auto-production tout en étendant ce choix de proche en proche à d’autres acteurs (aux activités marchandes ou non) s’il ne peut ou ne veut satisfaire ses besoins par lui même.
  3. Il introduit à nouveau dans les moyens d’échanges la comptabilisation de valeurs qui sont celles de ceux qui les utilisent, et réduit voire supprime celles imposées par un seul modèle économique. Parmi d’autres valeurs, citons celles des enjeux sociaux et écologiques de notre temps.
  4. En fournissant un revenu stable, il assure aux habitants d’un territoire de vie leurs choix de vie. Il affecte aux parties prenantes de ce territoire (collectivités, associations, entreprises) des ressources nouvelles et par suite les moyens suffisants pour investir, au présent comme dans l’avenir, dans la préservation de des biens communs et l’extension des libertés individuelles.
  5. Il crée une gouvernance partagée de la M.C.L. vecteur de ce revenu de base. Toutes les parties prenantes de ce territoire encadrent à nouveau la production, la distribution, les moyens d’échange et les revenus essentiels à l’émancipation de ses habitants et à la préservation de leurs biens communs.

Un revenu d’autonomie, une action locale, simple et immédiate, un impact global, complexe et durable

Comment un simple revenu d’autonomie peut-il influencer depuis nos territoires de vie un modèle macro-économique aussi puissant et complexe ?

Ce revenu de base, versé au maximum en MCL, va dynamiser prioritairement des échanges à fortes valeurs sociales et écologiques et des acteurs prioritairement locaux aux pratiques visant le respect des humains et de la nature.

Le revenu d’autonomie va régénérer les composantes de base de notre république qui sont comme les cellules et les organes de base de notre corps social, à savoir les citoyens bien sûr, mais aussi leurs collectivités, leurs entreprises et leurs libres associations. C’est parce qu’elles seront en capacité de reprendre un développement soutenable et renforcer leur cohésion sociale que ces composantes vont ensuite accomplir progressivement une transition écologique, sociale, économique et financière, et rendre finalement pour d’autres « désirable ce qui est nécessaire ».

Finalement, un revenu d’autonomie ne met-il pas fin à l’inconditionnalité, principe cardinal du revenu de base ?

Si nous y regardons de plus près, sur quoi porte l’inconditionnalité ? Elle porte sur la distribution de ce revenu et non sur la production des biens, des services et des informations qui le garantissent. Imaginons qu’il n’y ait plus de production, que feriez-vous d’un revenu de base versé inconditionnellement en euros ? Rien, car la monnaie ne se mange pas !

Comme le revenu de base, le revenu d’autonomie pose la conditionnalité des volumes de production mais il interroge aussi leurs modes de production, leurs réseaux de distribution, leurs moyens d’échange et le type de revenus qu’il permet. Il va jusqu’à interroger les modes de gouvernance qui conditionnent eux, fortement, ce que l’on va pouvoir se procurer avec son revenu de base. Mais, non, il ne touche pas à l’inconditionnalité de sa distribution.

Le revenu d’autonomie semble être un projet de société plutôt qu’un nouveau droit comme le revenu de base ?

Oui, on peut le voir comme un projet de société. Mais le revenu de base, à vouloir être un nouveau droit, n’exige-t-il pas dès sa racine une nouvelle société pour instaurer ce nouveau droit ? Le nouveau droit de disposer de sa propre personne à l’époque de la monarchie, aurait-il pu naître dans une société qui faisait de chacun de ses membres la propriété mobilière d’un seigneur ?

Un revenu de base inconditionnel peut-il naître dans un monde où un citoyen est contraint par « un chantage à la faim » à préférer un emploi subi qu’une activité choisie ? Bien sûr, il est possible et c’est le rôle du MFRB, de rendre par une loi constitutionnelle, ce nouveau droit effectif. En attendant qu’une large majorité soit mature pour le voter, il nous faudra l’expliquer, voire l’expérimenter et démontrer au-delà des discours et de leurs idéologies son pouvoir émancipateur pour toutes les parties prenantes de notre république. 

Votre expérimentation se fait dans un milieu rural. N’est elle pas trop restrictive ? Comment sera-t-elle applicable à des villes plus grandes ?

Pour cette expérimentation, nous avons voulu trouver un lieu où la pression financière, économique, politique, sociale et écologique était la plus faible afin de ne pas avoir à lutter contre l’intrication trop fortes des parties prenantes. En effet, dans les grandes villes, elles s’opposent sur des postures qui sont souvent très éloignées des besoins vitaux auxquels doivent faire face leurs citoyens au quotidien et ceux du futur qui s’y préparent. Ainsi 80% des énergies mis à disposition par les acteurs d’une transition écologique, sociale et économique sont consommées dans des luttes de postures sans lendemain.

La cellule de base de notre république est la commune, lieu de partage des communs de la vie quotidienne. Tous les citoyens vivent dans une commune. Finalement, dans les villes, c’est le quartier qui joue le rôle d’une commune. Or dans ces quartiers à la dépendance très forte aux produits, services et informations importées, il est impossible pour les habitants de se rapproprier les moyens de la production nécessaire à leur vie, les réseaux de distribution de cette production, les moyens d’échange pour se la procurer, les revenus par lesquels on les obtient, et enfin la gouvernance des lois qui s’imposent dans leur vie quotidienne.

Par contre, une petite commune est un terrain très favorable à une expérimentation intégrant production, distribution, moyens d’échange, revenu et gouvernance. En effet, la terre y est accueillante et vaste, l’énergie du vent et du soleil souvent abondante. L’eau et la biomasse, exploitées dans le respect de leurs cycles, y sont quasiment sans limite. 

Nous pouvons facilement y mesurer l’impact de la mise en place de notre éco-hameau sur le développement soutenable et la cohésion sociale de notre territoire de vie puisque, malheureusement, il n’y a plus rien : ni activités économiques ni activités culturelles. Dès lors , les pressions y sont bien moins fortes que dans les grandes villes puisqu’il n’y a plus rien ou presque rien à capter… 

De plus, les techniques et méthodes d’autonomie sont dimensionnées à notre maison autonome et nourricière, brique de base de notre éco-hameau (une dizaine de maisons pour une trentaine d’habitants) et de nos éco-villages (une dizaine d’éco-hameaux). Elles seront donc facilement adaptables aux petites maisons résidentielles des quartiers des villes plus grandes, pour devenir, dans les villes, un bon moyen de se réapproprier progressivement les moyens de production de ce qui est vital pour nous, les réseaux courts de distribution pour y avoir accès près de chez soi, les moyens d’échanges via les MCL pour valoriser ce qui compte vraiment pour nous, un revenu d’autonomie favorisant les acteurs locaux respectueux des humains et de la nature et enfin, la gouvernance à partager entre toutes les parties prenantes de ce territoire de vie enfin revitalisé. Ainsi chacun deviendra apte d’expérimenter à nouveau le chemin de son propre bonheur dans le respect des humains et de la nature. 

Le revenu de base versé en monnaie citoyenne locale est bien plus qu’une super alloc qui serait octroyée par les plus nantis aux plus démunis, bien plus qu’une mesure d’économie visant à réduire les coûts et simplifiés notre modèle social. Ce revenu de base est une mesure radicale, dans le sens de racinaire et non extrémiste. 

En effet, il veut faire la preuve par les faits que le revenu de base est une recette pour tous les citoyens et non une dépense. Qu’il constitue pour chacun un des moyens les plus simples et les plus immédiats de reprendre le chemin de son émancipation, fondement même de notre République française.


Frédéric Bosqué est co‑fondateur de Tera et du MFRB. Contact : contact@tera.coop. Visitez le site de Tera