Il existe de nombreuses appellations à l’idée de revenu de base, mais la plupart désignent bien la même chose. C’est l’idée de distribuer un revenu mensuel à tous les membres d’une communauté, sans conditions de ressources ni exigence de contreparties, de la naissance à la mort et de façon strictement individuelle.

Ce revenu déconnecté de l’emploi est tout simplement l’expression d’un droit universel et inconditionnel à une existence digne. Il contribue à assurer à chaque être humain le minimum pour se loger et se nourrir. Ce revenu de base, véritable salaire social, peut être le fruit d’une cotisation de solidarité prélevée sans exception et dès le premier euro sur l’ensemble des revenus d’activités et administrée par une caisse comme la Caisse d’Allocation Familiale. Cotisation qui pourrait se substituer à la fois à l’impôt sur le revenu bientôt mensualisé et à la C.S.G. A coût nul pour le budget de l’État, il permettrait au contraire de soulager celui-ci ainsi que celui de la sécurité sociale de la charge de la lutte contre la pauvreté, des aides familiales diverses et des nombreux dispositifs d’aide à l’emploi particulièrement inefficaces.

Sur le principe d’une allocation individuelle forfaitaire financée par une contribution sur les revenus d’activité, on pourrait imaginer diverses dotations universelles et inconditionnelles permettant à chacun d’avoir accès à des ressources vitales comme l’énergie ou l’eau ou à des services comme celui des transports ou celui du logement financé par la propre consommation des ressources. Enfin l’idée pourrait aussi s’étendre à celle de la bonne gestion de la taxe carbone avec une redistribution de celle-ci pour les plus sobres sous la forme d’un dividende. Cette nouvelle gestion des biens communs permettrait à la fois d’en faciliter l’accès à tous, en les partageant plus équitablement, et de taxer plus fortement la surconsommation et le gaspillage des ressources que nous devons impérativement à la fois préserver et consommer avec modération.

Logement : Une dotation financée par la taxe d’habitation

Actuellement le calcul du montant de l’Aide Personnalisée au Logement (A.P.L.) , administrée par la Caisse d’Allocation Familiale, dépend à la fois des ressources, de la composition de la famille et du montant du loyer. Pour une personne seule, son montant maximal est de l’ordre de 240€. Connue du propriétaire, elle peut lui être directement versée, contribuant ainsi, dans les zones tendues, à l’inflation des loyers. L’A.P.L. se transformant ainsi à une aide indirecte aux propriétaires tout en pérennisant la pénurie.

Outre la nécessité absolue des municipalités des zones déficitaires en logements d’engager des programmes de construction, en sollicitant par exemple les 36 milliards du fond de réserve des retraites qui pour l’instant sont investis sur les marchés financiers (voir ici) et de requérir à l’obligation de mise sur le marché locatif, avec les garanties nécessaires, des logements vacants, une reforme du calcul de la taxe d’apprentissage et la mise en place d’une taxe sur les actifs nets qui se substituerait à la fois à l’Impôt Sur la Fortune (I.S.F.) et à l’imposition des revenus fonciers sont nécessaires.

Cette taxe des actifs nets, en moyenne de 1,5 %, sur un montant moyen de 150 000 € par habitant, permettrait de financer le revenu de base de l’ensemble des enfants et des jeunes adultes de la naissance à 24 ans (voir l’article Pour une allocation universelle d’insertion), assurant ainsi les bonnes conditions de la transmission de l’héritage à la fois matériel et culturel d’une génération à l’autre et l’insertion dans la société de l’ensemble des jeunes adultes.

En taxant le patrimoine et non les revenus que celui-ci génère, on encourage aussi les propriétaires à mettre sur le marché de la location des logements vacants contribuant ainsi à la détente du marché et des loyers.

La taxe d’habitation pourrait être un vecteur de distribution d’une dotation universelle logement. Actuellement la taxe d’habitation est payée par les occupants d’un logement, locataires ou propriétaires. Elle constitue une recette pour les communes et groupements de communes. Le calcul de son montant dépend de la commune, des revenus de la famille et de la valeur locative du bien occupé.

On pourrait envisager un calcul avec une dotation logement associée à une surface minimale par occupant (par exemple 15 m2), crédit d’impôt qui diminuerait linéairement pour devenir une taxe d’habitation en fonction des ressources et de la surface réelle occupée par un locataire ou non par un propriétaire. Ainsi une personne sans ressources recevrait une dotation logement alors qu’un propriétaire disposant d’une surface non occupée serait surtaxé.

Le mode de calcul pourrait prendre la forme suivante :

  • Taxe d’habitation= Taux (%) X Revenus du ménage corrigés de la surface réelle – Dotation logement X Nombre d’occupants.

Le taux et le montant de la dotation logement seraient fixés par les communes pour maintenir les recettes nécessaires. Ils dépendraient de la tension du marché pour faire en sorte que le montant du loyer réel ne soit pas supérieur à 25 % du revenu de base pour la surface minimale individuelle sur tous les points du territoire. Par exemple pour un revenu de base de 600 € , le loyer pour un logement d’ une pièce de 15 m2 devrait induire une dépense contrainte maximale de 150 €, soit 10 €/m2. Ainsi les communes devraient arbitrer entre l’augmentation de l’offre de logement pour faire diminuer les loyers ou une taxe d’habitation élevée pour les hauts revenus et les grandes surfaces pour financer une dotation logement complémentaire.

Nous aurions ainsi un moyen efficace de réguler le marché locatif tout en permettant à chacun, indépendamment de ses revenus, d’avoir accès à un logement.

Un dividende énergie pour une consommation plus sobre

Comme l’écrit Jean-Éric Hyafil, membre du MFRB, dans cette tribune, « Plutôt que des tarifs progressifs dont la mise en place est coûteuse et bancale, une meilleure solution pour faciliter l’accès des ménages modestes à une énergie bon marché tout en incitant aux économies serait la distribution d’un dividende énergie. » Ainsi, « un tarif unique plus élevé que celui d’aujourd’hui, combiné avec le versement au ménage (ou à chaque individu adulte du ménage) d’un dividende par tête permettrait de couvrir le minimum d’énergie pour les usages élémentaires. »

Ce dividende énergie qui diminuerait avec la consommation et un tarif unique de l’unité énergétique plus élevé inciterait à la modération de la consommation.

Pour préserver les ressources tout en en facilitant l’accès, la même logique pourrait être appliquée à la consommation d’eau potable.

D’une dotation mobilité vers un dividende carbone

En matière de déplacement, on peut aussi envisager une carte de mobilité individuelle donnant accès aux transports publics et au système de partage de moyens de transport (vélo, scooters, automobile) financée par une taxe sur les carburants, afin d’encourager l’utilisation de moyens de transports plus sobres et moins polluants.

Plus généralement, comme le développe Jean-Éric Hyafil dans cet article, « Si on considère le climat comme un bien commun de l’humanité, le droit d’émettre du CO2 devrait être équitablement réparti entre tous les habitants de la planète. Il faut réduire notre droit à émettre des gaz à effet de serre par une taxe carbone tout en gardant à l’esprit que ce droit doit être réparti équitablement entre tous. Partant de ce principe de justice environnementale, il faudrait redistribuer à tout le monde les recettes de la fiscalité écologique. C’est l’idée du dividende carbone, aussi appelé chèque vert, revenu de base écologique (ou cap and dividend en anglais), défendue par James Hansen, professeur à l’université de Columbia et ancien climatologue en chef à la NASA, dans une lettre au président Barack Obama (Citizens Climate Lobby) »

La sobriété de la consommation est la seule alternative viable pour préserver les ressources de la planète. Aussi est-il juste de récompenser en le rémunérant celui qui de gré ou de force, par ses faibles moyens, contribue à un meilleur partage de notre bien commun et, au contraire, de faire contribuer davantage celui qui participe consciemment ou inconsciemment au pillage et à la pollution de notre environnement par la surconsommation de biens et services.

Enfin, avec cet accès modéré offert à tous à ces ressources et services vitaux, l’allocation d’un revenu de base même modeste (de l’ordre d’un demi SMIC) serait suffisant pour assurer, dans toutes les situations, une vie digne sans exiger un financement confiscatoire pour les plus riches et en assurant la cohésion de la société par une solidarité acceptée par tous.

La satisfaction des besoins élémentaires assurée, chacun pourrait alors se consacrer à une activité, à un travail librement choisi. Chacun pourrait oser entreprendre, oser créer. Grâce à ce filet de sécurité, chacun pourrait décider de se libérer d’un travail aliénant sans craindre de ne pas assurer le minimum pour les siens. L’angoisse face à l’avenir disparaîtrait !

  • Le partage des emplois avec une réduction du temps de travail librement consentie, serait à nouveau à l’ordre du jour, ce qui participerait à une diminution drastique du chômage ;
  • La relocalisation de l’économie, le développement d’une agriculture paysanne familiale, des commerces de proximité seraient ainsi viabilisés ;
  • La formation, le changement de métier, les ruptures dans une carrière professionnelle, l’intermittence, pourraient être envisagés plus sereinement ;
  • Avec le temps libéré, chacun pourrait participer pleinement au développement d’une économie sociale et solidaire, à la vie démocratique de la cité, à des activités non marchandes et assumer pleinement ses responsabilités familiales.

Avec les dépenses contraintes du quotidien allégées, tout contribuerait à apaiser les maux de nos sociétés comme la marginalisation et l’exclusion par le chômage, la misère, les maladies dues au travail et au stress, la criminalité et l’économie souterraine, soulageant du même coup les budgets de l’État, des collectivités publiques et des organismes sociaux.

Il faut être convaincu que cette allocation universelle et ses dotations complémentaires contribueraient à ressouder nos sociétés émiettées, éreintées, divisées et profondément injustes et ouvriraient la voie vers une société à la fois plus équitable et plus frugale dans l’utilisation des ressources et du bien commun.

« Il n’est rien de plus fort qu’une idée dont l’heure est venue », écrivait Victor Hugo. Il reste à se donner les moyens de la réalisation de ce droit humain qui est loin d’être une utopie.


Photo : Capital.fr – Getty . DR.  Cet article a été intialement publié le 6 février 2016 sur le blog La Science du partage.