Extension du domaine du capital”, de Jean-Claude Michéa.

Un titre un peu “houellebecqien”, mais…

Michéa est en grande forme. Son établissement en France rurale lui réussit fort bien.

Retour à la terre pour bêcher et ratisser dans son grand potager sous la bienveillante supervision de son épouse.

Des légumes, oui, mais des volailles aussi. Quelques canards qui, l’heure venue, passés au four seront sur la table pour régaler les invités. Ne le dite pas à Madame Sandrine Rousseau, elle va organiser une expédition punitive…

Dans cette extension, l’auteur n’est pas tendre – sa cruauté me réjouit – avec la pléthorique domesticité intellectuelle, expression empruntée à Guy Debord plusieurs fois sollicité dans l’ouvrage. Les intellos de service accomplissent « leur devoir de classe sous forme universitaire ou plus simplement journalistique » (p.61).

C’est notamment dans « Le Monde », l’hebdo « Le point » qu’officient les chiens de garde. L’on saisit que l’air de la campagne ne dispose guère aux mondanités urbaines.

Le capitalisme comme fait social total

Empruntant à Marcel Mauss, Michéa fait valoir que le capitalisme est un « fait social total ». C’est-à-dire un phénomène indissolublement économique, politique, culturel » (p.94).

« Le wokisme est le complément nécessaire du néo-libéralisme qui ne se contente pas de vouloir substituer l’acquisition d’un évangile progressiste à des savoirs fondamentaux en primaire l’orthographe, la grammaire et la syntaxe sont en outre tenues pour des préoccupations élitistes, des survivances d’un ordre patriarcal à abattre. Une fois remisés tous les moyens d’appréhension et de compréhension du monde, il ne reste plus à disposition qu’un catalogue de mots d’ordre (le mot éveille ici des résonances particulièrement sinistres) rédigé en langage inclusif. » (p.133).

Michéa ici de référer à Jaime Semprun et à son magnifique L’abîme se repeuple :

« Quand le citoyen écologiste prétend poser la question la plus dérangeante qui soit :

en demandant : Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?, il évite de poser cette question, réellement inquiétante : A quels enfants allons-nous laisser le monde ? » (p.133).

Le wokisme, l’auteur insiste, s’incruste dans tous les interstices sociaux, c’est « le versant culturel du néolibéralisme » (p. 97).

Les seuls vrais écologistes sont les décroissants.

Michéa est souvent présent dans les colonnes du mensuel La Décroissance, dans L’extension, il affirme pleinement ses analyses : « L’accumulation du capital ne se définit pas seulement comme un processus sans fin » (d’où, déjà, cet état de folie furieuse dans lequel l’idée même de décroissance plonge inévitablement tout idéologues libéral) (p.33).

Plus loin, l’auteur aggrave son cas : « … le culte capitaliste de la croissance (produire pour produire, accumuler pour accumuler, ironisait Marx) qui conduit à métropoliser de plus en plus notre planète ». (p.253).

Depuis Maastricht nous sommes soumis aux diktats de « la concurrence libre et non faussée »qui conduit mécaniquement à concentrer le capital » (p.250).

La bêche et le râteau

Entre jardinage et compostage, maniant avec dextérité les outils adéquats, le philosophe campagnard, reste grand lecteur, impénitent papivore.

George Orwell, bien sûr, est un auteur assidûment fréquenté, de Karl Marx il reprend partie de ses analyses toujours valides. Friedrich. Engels est également mobilisé.

Et bien d’autres auteurs dont Robert Kurz, avec la critique de la valeur qui nous vient d’Allemagne, Wertkritik.

Éloigné des métropoles surpeuplées, Michéa se tient à l’écart des brutalisations des rapports humains. La concurrence planétaire instituée, l’homo œconomicus se meut à l’aise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Faire de l’argent, qui n’a pas d’odeur, dit-on.

Indifférence et indifférenciation permettent l’extension mondialisée de la marchandise. L’indifférenciation de la notion de sexe (p.101) est une première étape vers le transhumanisme. Monsieur Mélenchon se conformant aux injonctions du politiquement correct veut faire inscrire dans la constitution le droit de changer de sexe. (p.209).

Michéa ne retient guère les déclarations « humanisticoïdes » des idiots utiles du capital et fait valoir que :

« la concurrence étrangère joue également un rôle décisif dans la mondialisation capitaliste et l’immigration de masse qu’elle implique nécessairement. […]. Enfin, et surtout parce que la dynamique d’illimitation du capital moderne exige par définition la disparition progressive de toutes les frontières étatiques et nationales. No Border est le slogan libéral par excellence. » (p.193,194).

Construction en poupées russes

Le néorural toujours marxien nous donne à lire un texte primitif truffé de notes, les notes elle mêmes étant amplifiées, précisées par d’autres notes qui…

Avec un peu d’attention, le tout se lit fort aisément.

De cette construction, Michéa s’explique dès l’avant-propos. Si l’on joue le jeu – et ça vaut le coup – la démonstration se solidifie en suivant l’itinéraire et les diverticules tracés, fléchés.