Tout à leur objectif de croissance, nos états modernes semblent avoir oublié celui de la réduction de la pauvreté. Et la crise économique a encore accru le fossé entre les ménages les plus riches et les plus pauvres. Face à ce sombre constat, Guy Valette appelle à garder espoir et défend le revenu de base comme moyen de renverser la tendance.

Discours initialement prononcé le 14 Décembre 2013 à Paris devant le député Jean Lassalle.

L’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux (…) ».

En 2013, on est loin du compte. En France on compte aujourd’hui plus de 5 millions de pauvres. Ils doivent vivre avec moins de 800 €, la moitié du revenu médian.

Parmi eux, il y a près de :

  • 1 700 000 enfants ou adolescents de moins de 19 ans qui vivent dans des familles pauvres,
  • 700 000 jeunes adultes de 20 à 29 ans, dont aussi des étudiants,
  • 600 000 personnes âgées de plus de 60 ans,
  • 1 700 000 adultes de 30 à 60 ans, pour la plupart, des travailleurs qui ne réussissent pas à gagner leur vie en travaillant. Parmi eux beaucoup de mères seules qui ne peuvent concilier travail à plein temps et garde des enfants.

De nombreux petits paysans, des petits commerçants, des artisans, des artistes, des auto-entrepreneurs, n’arrivent pas à tirer de leur travail des revenus décents.

La crise a aggravé les inégalités

À partir de 2007, la crise économique n’a rien arrangé, bien au contraire : les chômeurs sont venus gonfler les rangs des pauvres pendant que les riches ont continué à s’enrichir.

L’observatoire des inégalités montre que de 2008 à 2010, dans une France en crise, les 10 % des ménages les plus pauvres se sont appauvris de un demi milliard d’euros, alors que les 10 % les plus riches se sont enrichis de 14 milliards, en captant 58 % de la richesse créée pendant ces deux dernières années. Le fossé entre les possédants et ceux qui n’ont que leurs bras et leur intelligence comme unique richesse se creuse inexorablement.

Face à cette précarité qui touche de plus en plus de Français, les budgets des organismes publics de solidarité ne peuvent plus faire face, et les aides relèguent trop souvent ceux qui les touchent à la situation d’éternels assistés. L’Etat s’endette, et il est de plus en plus difficile de lever un impôt, perçu par beaucoup comme injustement réparti.

Pourtant, jamais la richesse produite n’a été aussi grande, jamais la productivité du travail n’a atteint de tels sommets. Mais au lieu de libérer l’Homme, le progrès technique l’asservit. Comment faire pour sortir de ce cercle vicieux où ceux qui travaillent, travaillent trop et ceux qui voudraient être actifs en sont empêchés ?

Changer de paradigme

Face à cette France encalminée, il faut changer de paradigme en allouant un revenu universel à tous sans distinction, fruit de la richesse produite par le travail et par le capital accumulé au fil des ans. C’est le moyen de permettre à chacun de retrouver une vie digne, du temps pour permettre à tous de participer à enrichir ce patrimoine commun que nous léguerons aux générations futures. 

Voici la définition que notre mouvement, le Mouvement Français pour un Revenu de Base a donné de ce revenu universel :

Le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, alloué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, individuellement, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement.”

1. Le revenu de base est un revenu individuel garanti dont le montant, identique pour tous, est indépendant de toute activité rémunérée. Alloué à toute personne du seul fait de son existence, il est le fondement d’une réforme majeure dans l’organisation des transferts sociaux. Ainsi face aux aléas de la vie, elle préserve en toute circonstance la dignité.

2. Le revenu de base évite la stigmatisation et la condescendance.
De par sa simplicité, distribué à chacun de manière automatique, quelle que soit sa situation, il met fin au maquis inextricable des diverses aides à la personne, à la dépendance, et libère les employés publics des tâches de contrôle pour les orienter vers des missions d’accompagnement.

3. Le revenu de base ne constitue en aucune manière une désincitation au travail.
Tout revenu supplémentaire, provenant d’une activité rémunérée ou des fruits d’un patrimoine, s’ajoute au revenu de base sans limitation, contrairement au RSA qui peut devenir une trappe à inactivité et maintenir dans les conditions d’assistés de nombreux allocataires.

4. Le revenu de base c’est aussi du temps libéré pour s’occuper de soi, des siens et du bien commun ; c’est du temps pour permettre à chacun d’être un créateur, un entrepreneur, un citoyen engagé dans la vie de la cité et dans des activités associatives.
Ce revenu complémentaire, alloué à tous les membres de la famille, peut permettre de se libérer partiellement d’une activité contrainte pour exercer une activité choisie qui peut aussi être créatrice de richesses et d’emplois. Il assure un meilleur partage des emplois salariés et contribue à faire diminuer le chômage. Il permet d’oser un projet : il autorise l’échec et prépare au rebond.

5. Le revenu de base est financé par tous les membres de la communauté sans exception.
Son financement, sur les revenus du travail et sur le patrimoine, doit être simple et ne souffrir aucune dérogation sans remettre en cause notre système social de solidarité.

6. Le revenu de base est une idée ancienne.
« Sans revenu point de citoyen » disait Thomas Paine, intellectuel franco-américain de la fin du XVIII siècle, qui avait déjà l’idée de doter chaque citoyen d’une quinzaine de livres, ce qui permettait, à l’époque, d’acheter une vache et un bout de terrain.

Nous sommes convaincus que cette allocation, par son caractère universel, peut contribuer à ressouder nos sociétés émiettées, éreintées, divisées et profondément injustes. En faisant une place à tous les citoyens, nul doute que le pays se portera mieux. Comme l’écrit Philippe Van Parijs dans Le Monde de ce 14 décembre 2013, il s’agit de construire « un État social qui mise intelligemment sur l’épanouissement du capital humain plutôt que sur l’astreinte d’un emploi non choisi ».

L’heure est venue de s’emparer de cette idée en participant à l’Initiative Citoyenne Européenne qui a pour but de porter ce débat au niveau du Parlement Européen. La Suisse montre l’exemple en organisant bientôt une votation sur le sujet. Nous espérons aussi que la Représentation Nationale puisse en débattre.

Redonnons la main à l’humain !


Discours initialement prononcé le 14 Décembre 2013 à Paris.

Crédit photo : PaternitéPas d'utilisation commercialePartage des conditions initiales à l'identique Steev Hise