La Banque centrale européenne pourrait relancer l’économie en commençant à distribuer un revenu de base.

La zone euro a clairement besoin d’un instrument économique, autant flexible que structurel, qui puisse être utilisé par la banque centrale pour relancer l’économie quand il en est besoin. Une politique s’engageant, même de façon minime, dans la mise en place d’un revenu de base pour le peuple répondrait précisément à ce besoin.

Vous rappelez-vous comment était-ce avant la crise ? Lorsque le taux de croissance était au vert et que l’inflation était stable ? Lorsque la monnaie unique européenne semblait n’avoir que des avantages ? Les souvenirs de cette époque se sont vite évanouis. Surtout avec la stagnation persistante des salaires, les inégalités croissantes et les taux d’intérêt qui se sont réduits à un niveau qui n’a jamais été aussi bas. N’existe-t-il vraiment aucun moyen d’en sortir ?

Généralement, quand on évoque un assouplissement de la politique monétaire, on ressort très vite la légendaire planche à billets. Et effectivement, depuis le 9 mars, la planche à billets tourne à plein en Europe. Après quatre années d’hésitation, la Banque centrale européenne a commencé à dépenser des milliards en achats d’actifs. On appelle cela l’assouplissement quantitatif (QE pour Quantitative Easing), une stratégie qui consiste à racheter des prêts privés ainsi que des obligations d’État. L’espoir de la BCE est que cette démarche va stimuler l’investissement tant public que privé.

Malheureusement, rien ne garantit que le QE relancera l’investissement économique au sein de la zone euro. Comme les états ne sont pas en mesure ni même autorisés à créer de la monnaie, que les liquidités mises en circulation par le QE ne parviennent pas aux entreprises et que celles-ci ne sont pas disposées à contracter de nouveaux prêts, le QE risque fort d’apparaître bientôt comme un effort inutile. Qui plus est, le QE pourrait bien conduire à renforcer la dette : en stimulant l’économie par la création de crédit, le risque existe que gonflent encore un peu plus les bulles spéculatives provoquées par la dernière crise. Ce rachat massif d’obligations et d’actions pourrait bien en fin de compte ne provoquer qu’un gonflement de la valeur des actifs, un avantage qui profitera essentiellement aux plus massifs et aux plus riches investisseurs.

De l’argent par hélicoptère

Autant dire que le succès est loin d’être garanti. L’approche est lourde de risques et comporte des implications néfastes pour l’égalité. Le QE ne nous semble donc pas être une bonne voie à suivre pour l’Europe. C’est pourquoi certains économistes propagent une alternative plus efficace qu’ils appellent « l’argent par l’hélicoptère ». Pour eux, tant que la relance de l’économie n’est pas assurée, il faut tout simplement imprimer de la nouvelle monnaie et la distribuer directement à toute la population, comme si elle était larguée depuis un hélicoptère. Plusieurs travaux ont démontré que cet argent serait presque immédiatement dépensé, ce qui rétablirait la confiance et inciterait les entreprises à réinvestir. Cette restauration de la confiance conduirait aussi les entreprises à embaucher davantage, des salariés qui à leur tour se mettraient à consommer plus. Et ce mécanisme enclencherait un cercle vertueux.

Il y a cependant des inconvénients. Distribuer de l’argent par hélicoptère est une mesure temporaire qui ne peut être adoptée que dans des circonstances exceptionnelles. Si, à un moment donné, il apparaissait que la BCE est allé trop loin, générant la menace d’une inflation galopante, il serait très difficile de se débarrasser de l’argent nouvellement créé. C’est bien pourquoi il faut, à l’évidence, que la banque centrale soit en mesure de lancer une politique, à la fois structurelle et suffisamment flexible, pour relancer l’économie quand cela est nécessaire.

Un revenu de base monétaire, qui est une variation sur ce thème de l’hélicoptère, fournirait un bon moyen d’avancer. Selon ce scénario, la BCE distribuerait chaque mois une somme d’argent à chaque citoyen. Son montant serait calculé en pourcentage du revenu moyen (le montant variant donc selon les pays). Dans un souci de simplicité, supposons un montant de 400 euros par mois pour toute la zone euro. Chacun des pays de la zone euro demeurerait libre d’aller au delà de ces 400 euros – par exemple en réduisant les paiements de certaines prestations ou les niveaux d’imposition – mais c’est seulement cette somme qu’ils auraient à rembourser à la BCE.

En temps ordinaire, ce serait une mesure neutre qui ferait circuler l’argent partout sans créer de stimulus. Mais en période de crise, la banque centrale pourrait porter le montant mensuel du revenu à, disons, 600 euros, jusqu’à ce que l’économie se redresse. Pendant cette période, chaque autorité nationale verrait ses niveaux de remboursement maintenus à 400 euros. Mais la BCE distribuerait 200 euros supplémentaires par personne et par mois, de l’argent qui serait dépensé relativement rapidement. Dès que l’économie retrouverait un niveau de croissance et d’inflation stable, le revenu de base pourrait revenir au niveau neutre de 400 euros. Dans les cas où la BCE aurait été trop généreuse, le niveau du revenu de base pourrait même être temporairement abaissé à 300 euros jusqu’à ce que l’inflation se stabilise. Cela servirait alors essentiellement à retirer de la monnaie de l’économie.

Considéré comme un instrument de la politique monétaire pour faire face aux crises, ce type de revenu de base pourrait être qualifié comme de la mansuétude. Mais il faut aller plus loin que ça. Cette approche est une version miniature du revenu de base qui s’impose de plus en plus dans le débat public. Ses partisans affirment qu’un revenu de base structurel fournirait un moyen de répondre à l’automatisation, ainsi qu’à l’accroissement des inégalités, du stress et des difficultés de la vie quotidienne. Il favoriserait la créativité et la volonté d’entreprendre.

Ce dernier point est cependant loin d’être une certitude. C’est même pour l’heure la plus grande interrogation quant à la mise en place d’un revenu de base. Combien de personnes s’investiraient effectivement dans de nouvelles compétences ? Que deviendrait le marché du travail ? Car s’il existe plusieurs modèles économiques permettant de simuler les effets de réformes mineures, nous sommes bien face à l’inconnu avec une réforme globale telle que le revenu de base.

Un nouveau type de revenu

Tant que nous ne pourrons pas anticiper les conséquences de l’introduction d’un revenu de base, construire un modèle restera difficile. Un revenu de base d’un niveau élevé présenterait bien sûr des avantages. Mais sa mise en place progressive ne se fera pas sans problème.

Notre proposition d’un revenu de base d’un montant réduit peut constituer une troisième voie. Certes, nous ne proposons pas un niveau qui garantirait dès le départ une existence digne. Mais notre proposition permettrait aux économistes d’étudier les effets de ce nouveau type de revenu. En augmentant le paiement mensuel en temps de crise, la banque centrale générerait beaucoup d’éléments de preuve qui seraient précieux. Dès que les effets positifs seraient constatés, le revenu de base de niveau neutre pourrait être augmenté, étape par étape, pour finalement atteindre le niveau d’un revenu de base à part entière.

Avec le revenu de base, chacun disposerait de meilleures garanties de succès, serait moins soumis au risque et aurait plus d’égalité des chances pour démarrer dans la vie. Certainement une bien meilleure idée que l’assouplissement quantitatif.

Willem Sas et Kevin Spiritus.

Publié à l’origine dans le journal flamand De Tidj.

Willem Sas et Kevin Spiritus terminent leur doctorat en économie publique au Centre d’études économiques à l’université belge KU Leuven.



Article original : http://www.basicincome.org/news/2015/09/european-central-bank-monetary-basic-income/
Traduction : Pierrick le Feuvre.
Photo : Neubau der Europäischen Zentralbank (EZB) – Kiefer – Flickr – Licence CC