Pierre Musseau est contributeur du think tank Terra Nova où il s’intéresse à l’écologie sociale, à l’économie collaborative et à la question du compte personnel d’activité (CPA). Il propose ici une approche des complémentarités possibles entre revenu de base et revenu contributif.

Le Conseil du Numérique (CNNum) a remis le 6 janvier à la Ministre du Travail un rapport qui propose d’éclairer, d’expertiser et d’expérimenter le revenu de base. Après avoir analysé plusieurs modalités de revenu de base, le rapport reprend la proposition émise lors de la journée contributive organisée le 19 novembre : instaurer un revenu de base universel en remplacement du RSA. Cela pourrait se faire en trois étapes : versement automatique du RSA à ceux qui y ont droit, individualisation du RSA (par la réforme de l’impôt sur le revenu) et enfin rendre le versement du RSA universel. Une expérimentation locale pourrait être envisagée et le CNNum recommande que cette proposition soit examinée dans une commission parlementaire.

Le rapport du CNNum mentionne également la proposition d’un revenu contributif qui avait été relayée par Ars industrialis fondée par Bernard Stiegler. Le principe est de généraliser le système mis en place pour les intermittents du spectacle afin d’assurer à tous les travailleurs une meilleure gestion de leurs temps professionnels (phases de développement de capacités et phases de mise en production de ces capacités). La perception de ce « revenu contributif » serait conditionnée à l’exercice d’activités présentant un intérêt pour la collectivité.

Le CNNum insiste en particulier pour valoriser toutes « les activités, rémunérées ou non, porteuses de sens individuel et collectif ». Il souligne ainsi la diversité des activités qui peuvent être source d’épanouissement personnel. Des activités comme le bénévolat, le « travail » pour des plateformes collaboratives (par exemple Wikipedia, OpenStreetMap), la contribution à un projet d’intérêt général (réparation d’une route, mise à disposition gratuite d’espaces pour des conférences, ateliers, etc.) devraient selon le CNNum bénéficier d’une valorisation à travers l’octroi de droits sociaux. De telles activités pourraient être comptabilisées à travers le compte personnel d’activité (CPA) prévu par la loi du 17 août 2015 pour une mise en place à compter du 1er janvier 2017. Le CPA est soutenu par le CNNum comme « un outil d’empowerment, de pouvoir d’agir individuel, et de sécurisation des transitions ». L’étendre à des activités non rémunérés permettrait d’élargir les droits sociaux (droit à la formation, droit aux congés, voire même droit au chômage ou à la retraite). Le CPA pourra aussi être un support pour comptabiliser une quantité d’activité donnant droit à un revenu contributif.

Revenu de base et revenu contributif diffèrent en fonction de leurs objectifs mais il sont aussi très complémentaires.

Il est utile de faire une analogie avec le duo RSA socle / Prime d’activité (qui a remplacé le RSA activité au 1er janvier). Le RSA socle a pour objectif de lutter contre la pauvreté. En le remplaçant, le revenu de base pourra bien davantage répondre à cette fin . La Prime d’activité a d’abord pour objectif d’inciter à l’activité : le revenu contributif en le remplaçant pourra rendre effectif cet objectif en élargissant ce qu’on entend par activité, en incluant aussi des activités non marchandes, donc potentiellement plus faciles à créer car moins contraintes économiquement. 

Défendre revenu contributif et revenu de base de concert a aussi un mérite : cela peut permettre de trouver un compromis entre ceux qui regretteraient que le revenu d’activité soit trop bas (pour rappel, prendre le RSA socle comme référence cela correspond à 524 €/mois pour une personne seule et de 1100 € pour un couple et deux enfants, avant déduction des aides au logement) et ceux qui veulent une allocation universelle qui ne réduit pas l’incitation à travailler. Le cumul des deux pourra constituer un revenu réellement suffisant, et pourra être accessible même à ceux qui n’ont pas d’emploi rémunéré dès lors qu’ils ont des contributions bénévoles reconnues.

Rappelons enfin que le revenu de base aura toujours une condition tant qu’il ne pourra être octroyé à tout être humain de la planète : appartenir à la communauté politique concernée. Ainsi pour le RSA, outre la condition de l’âge (avoir plus de 25 ans ou avoir travaillé 2 ans au cours des trois dernières années ou avoir un enfant à charge), il faut résider en France de manière stable et remplir des conditions de droit de séjour. Sont en particulier exclus de nombreux ressortissants étrangers qui ne disposent par d’un titre de séjour autorisant à travailler depuis au moins 5 ans. Il faudra dans tous les cas définir les « non étrangers » qui y auront droit et on peut craindre que certains partis obtiennent une définition selon un périmètre encore plus réduit.

Le revenu contributif pourrait quant à lui s’exonérer de telles conditions, en ne gardant que celle d’un « seuil de contribution ». Il permettrait donc à une fraction de la population immigrée aujourd’hui exclue du RSA et demain du revenu de base, de bénéficier d’une reconnaissance de ses contributions à la société française, lui donnant aussi des droits sociaux et un revenu décent. 

Défendre un revenu de base et un revenu contributif devraient donc devenir les deux facettes d’un même combat pour reconnaître à tous le droit à un revenu décent et aussi la reconnaissance des contributions de chacun à la société.

Pierre Musseau


Illustration : Didrachme avec portrait de Janus, Dieu romain à deux têtes (IIe siècle av. JC). Classical Numismatic Group. Licence CC-BY-SA 3