Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français (PCF) a sorti fin avril un ouvrage intitulé Le parti pris du travail, dans lequel il propose la suppression du revenu de solidarité active (RSA) et la distribution pour chacun·e d’un travail digne et bien rémunéré pour « redonner le pouvoir aux travailleurs et ne pas les diviser ».

Le Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) se devait de lui faire une réponse. La voici.


Au fil du texte

Déjà rappelons une chose : le MFRB aussi est pour la suppression du RSA, pour le remplacer par quelque chose de mieux ; un revenu universel et inconditionnel. Voyons les arguments en faveur du travail que développe M. Roussel tout au long de son ouvrage.

1. Le travail serait porteur de sens
Tout au long du livre revient l’idée que la dévalorisation du salariat ces dernières décennies serait causée par le patronat qui ne serait pas « patriote » (p. 123) et le monde de la finance qui dicterait les conduites des politiciens en matière économique.
C’est en effet la vérité. Mais que propose Fabien Roussel face à cela ?

2. La sécurité de l’emploi
M. Roussel croit que les nationalisations, si les grands patrons ne veulent pas marcher main dans la main avec lui, donneront du pouvoir aux salarié·es. Bien que la rationalisation de la production par la réquisition de la propriété aujourd’hui privée soit souhaitable, Fabien Roussel fonctionne dans la droite ligne stalinienne du capitalisme d’État, avec un bol de riz en fer garanti aux travailleurs pourvu qu’ils travaillent !

3. La croissance du PIB
Naturellement, M. Roussel est productiviste. Cela va à l’encontre de la philosophie de l’allocation universelle se voulant « l’otium dun peuple » (“Remettre l’économie dans son lit”, comme disait François Plassard)

Mais alors à quoi vont servir toutes ces « richesses » produites, sachant que 30 % des produits de l’industrie textile mondiale sont détruits après avoir été fabriqués (Jean-Luc Mélenchon), que la plupart des nouveaux livres imprimés sont presque immédiatement détruits faute d’avoir été vendus, sans compter la nourriture évidemment ?

4. Le remboursement de la dette
Il s’agira de rendre la France désendettée à moyen ou long terme, mais, rassurez-vous, si vous travaillez c’est avant tout pour vous n’est-ce pas ? Voilà la communauté de destin dans laquelle Fabien Roussel souhaite vous enfermer contre votre gré. Là encore, du capitalisme d’État !

5. La souveraineté de la France
Le protectionnisme solidaire revient sur la table. Il s’agirait de négocier entre nations indépendantes pour l’obtention de matières premières (en particulier pour la filière de l’atome, si chère à M. Roussel, pour une énergie « décarbonée » (ce que réfute l’association Arrêt Du Nucléaire).

À la croisée des chemins
Nous y voilà donc, les vieux réflexes staliniens du PCF sont donc de retour, notamment la défense du socialisme dans un seul pays.
Deux voies (et même deux voix) pour le communisme s’imposent : la voie traditionnelle socialiste vers le communisme défendue du PCF à Lutte Ouvrière ; et la voie capitaliste vers le communisme (oui, vous avez bien lu), défendue par les tenants d’un revenu universel d’existence (voir le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) au sujet du revenu universel, disponible en anglais).

Quelle vision de la citoyenneté ?
Thomas Paine, acteur de la grande révolution libérale française, disait : « Sans revenu, point de citoyen ! ».
Or, le PCF, au moins depuis la seconde guerre mondiale, est pour l’alliance du drapeau rouge de la révolution socialiste et du drapeau bleu-blanc-rouge de la République. Mais, pour le PCF, un citoyen doit être un travailleur et ne peut être autre chose que cela…
Le MFRB dit que le montant et le financement d’un revenu universel doivent etre ajustés démocratiquement. Sauf que M. Roussel accorde un caractère démocratique au Parlement tel qu’il existe aujourd’hui. Il ne remet pas en cause la légitimité du Sénat et ne souligne pas le caractère profondément aristocratique du système électif.

Mais le travail, c’est quoi au fait ?
Le philosophe contemporain André Gorz donne, dans l’ouvrage intitulé Métamorphoses du travail paru en 1988 cette définition du travail : des activités qui créent de la valeur d’usage, en vue d’un échange marchand, dans la sphère publique, en un temps mesurable et avec un rendement aussi élevé que possible.

Les travailleurs·euses tels que vus par le PCF aujourd’hui
Vous aurez remarqué que, comme la plupart des associations, le MFRB et le PCF possèdent une charte (voir la charte complète du MFRB)

Ce qui fait office de charte pour le PCF est un document appelé avec beaucoup de poésie L’humanifeste, adopté au 36ème Congrès du parti en octobre 2012. Amusons-nous à compter les occurrences de certains mots : le mot « ouvrier » y apparaît trois fois, le nom « travail » ou le verbe « travailler », quelques dizaines de fois. Et pour « travailleur » ou « travailleuse » ? Zéro !

Les relations entre les partis communistes français et chinois aujourd’hui
Dans l’ouvrage Chine trois fois muette rédigé par Jean-François Billeter et paru en 2000 aux éditions Allia, il est dit ceci, page 86 :
« Dans cette situation vertigineuse et sans précédent, nous ne pouvons nous régler que sur un petit nombre de certitudes logiques. L’une d’elle est la nécessité de sortir du salariat. Il n’y aura pas de rupture dans l’enchaînement actuel des causes et des effets tant que ceux qui sont contraints de vendre leur travail pour vivre, donc de se vendre eux-mêmes, ne mettront pas fin à cette dépendance et ne deviendront pas enfin par cette décision des citoyens libres de décider de concert, et selon la raison, de ce qu’ils produiront ou ne produiront pas, et selon quels procédés. Ce sera la fin de ce que nous appelons aujourd’hui “l’économie” puisque ces citoyens détermineront consciemment le “mouvement des choses”. Les moyens de produire les biens nécessaires à tous ont atteint un tel développement que le salaire pourrait être remplacé, pour l’essentiel, par une allocation universelle de base garantissant l’indépendance matérielle de chacun. »

Or, le Parti communiste chinois (PCC) est régulièrement invité à la fête de l’Humanité. Selon Xi Jinping, le « socialisme aux caractéristiques chinoises » aboutira au communisme « dans cent ans ». Mais nous n’avons pas le temps d’attendre face à l’urgence écologique, et alors que M. Roussel veut « supprimer l’armée de réserve » (les chômeurs), la Chine, elle, possède une forme de RSA appelée dibao (di pour minimale et bao pour sécurité).

En conclusion : la place singulière du PCF au sein du Nouveau Front Populaire (NFP)
Toutes les composantes du NFP, à commencer par Génération·s et Les Écologistes, adhèrent plus ou moins à la mise en place d’un revenu d’existence (y compris le PS avec Arthur Delaporte). Le PCF est le seul parti qui s’y opposera systématiquement.

Pour aller plus loin :

  • André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, éditions Galilée (1980)
  • André Gorz, Métamorphoses du travail, éditions Galilée (1988)
  • Julian Mischi, Le communisme désarmé. Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970, éditions Agone (2014)
  • Jean-François Billeter, Chine trois fois muette, éditions Allia (2000)
  • Groupe Krisis, Manifeste contre le travail (1999) : https://www.krisis.org/1999/manifeste-contre-le-travail/