Pour faire face à la spirale déflationniste, les gouvernements et les banques centrales n’auront bientôt plus d’autre choix que de recourir à une création monétaire qui sera directement distribuée à la population.

Article de John Aziz, initialement publié sur azionomics.com sous le titre « Universal Basic Income Is Inevitable, Unavoidable, and Incoming ». Adaptation française : Philippe Dubrulle.

La dernière fois que j’ai entendu parler du revenu de base universel à la télévision, c’était par un député conservateur qui le dénigrait en en parlant comme d’une idée absurde. Le gouvernement distribuant des liasses de billets sans condition à toute la population semble tout à fait fantastique dans cette période d’austérité, où l’on nous répète incessamment comme un mantra « nous n’avons pas l’argent ». L’argent, entend-on, ne pousse pas sur les arbres. (Seulement en chiffres sur l’écran d’un ordinateur).

Dans ce monde, le revenu de base universel apparaît comme une perspective plutôt lointaine. Oui, il y a des propositions, comme en Finlande où on se prépare à démarrer des expérimentations locales en 2017, et en Suisse qui lance un référendum sur le revenu de base universel le mois prochain. Je ne pense pas que le vote passe. Le climat politique actuel est tout simplement trop patriarcal. Nous vivons dans un monde où le libre choix est démodé. Les médias de masse diabolisent les pauvres comme irresponsables, trop paresseux et ignorants pour faire de bons choix sur la façon de dépenser leur revenu. Mieux vaut un gouvernement qui dépense une énorme part du PIB pour employer des bureaucrates à faire passer des tests, moraliser sur les vertus du travail, et sanctionner le gaspillage.

Mais ce monde est en évolution rapide, et plus j’étudie les faits basiques de la vie économique du début du XXIème siècle, plus le revenu de base universel apparaît comme inévitable.

Et non, ce n’est pas à cause des robots qui viennent prendre nos emplois, comme Erik Brynjolfsson le suggère dans son excellent « The Second Machine Age » (« La deuxième ère des machines »). Certes l’automatisation est un perturbateur économique majeur qui va transformer notre économie, mais supposer que les robots vont dissoudre entièrement les emplois revient à tomber dans le même sophisme d’une masse fixe de travail dans lequel les Luddites sont tombés. L’automatisation libère les humains des corvées et ouvre l’économie à de nouvelles opportunités. Là où de vastes couches de la population travaillaient dans les domaines tels que l’agriculture de subsistance, la mécanisation a permis à ces personnes de devenir des travailleurs industriels, et à leurs descendants de devenir des travailleurs créatifs et informés. Tandis que les industries d’aujourd’hui sont décimées, et alors que le prix de marché des média approche zéro, de nouvelles pistes s’ouvrent. De nouvelles industries naîtront dans un cycle sans fin de destruction créatrice. Oui, peut-être qu’un revenu de base universel contribuera à faciliter la transition que nous traversons actuellement, mais la transition n’est pas la raison pour laquelle le revenu de base universel est inévitable.

Bienvenue dans le monde de l’hyperdéflation

Alors, pourquoi est-il inévitable ? Jetez un coup d’œil au Japon, puis à la zone euro : des économies où la déflation des prix à la consommation est devenue une réalité permanente et enracinée. Cet événement est couplé à la stagnation économique et à des plongeons continus dans la récession. Au Japon — qui est dans ce piège depuis plus de deux décennies — les niveaux d’endettement restent élevés. La dette n’a pas gonflé autant qu’elle l’aurait fait avec un taux plus « normal » de croissance et d’inflation. Et même dans les pays qui ont évité d’emblée les spirales déflationnistes, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, l’inflation a été très faible.

La raison principale, j’en viens à le croire, est la hausse de l’efficacité et la surabondance croissante de produits de consommation. Les voitures sont de plus en plus économes en carburant. Les maisons sont de plus en plus économes en énergie. De grandes quantités d’énergie solaire et de gaz de schiste disponibles deviennent une réalité. La croissance de l’économie chinoise continue à drainer de grandes quantités de biens de consommation. Et il n’y a pas que cela : les gens sont plus instruits que jamais auparavant, et équipés de moyens de productivité incroyablement puissants comme les ordinateurs portables, iPads et smartphones. L’information et les média ont chuté à un prix quasi nul. Si l’inflation des prix est une fonction de la croissance de la masse monétaire rapportée à la croissance du montant total de biens et services produits, alors on comprend plus clairement pourquoi la déflation et la stagflation sont devenues un problème dans le monde développé, alors même que les banques centrales se démènent à fournir l’argent pour regonfler la bulle du crédit qui a éclaté en 2008.

Et ce n’est que le début ! Au cœur de ce phénomène, le coût de l’énergie solaire surabondante et accessible qui continue de baisser, et l’efficacité des batteries qui continue d’augmenter, le prix de l’énergie pour le chauffage, l’éclairage, la cuisine et le transport (par exemple, les voitures électriques autonomes, les camions de livraison, et finalement les avions) tend lentement mais sûrement vers zéro. Si le coût des énergies renouvelables continue de baisser, et que les progrès de l’intelligence artificielle et de l’automatisation se poursuivent, alors d’ici trente ou quarante ans, la majeure partie des tâches ménagères et des travaux du jardin sera alimentée par du renouvelable et assurée par des robots. Les crises de l’eau peuvent être atténuées par la désalinisation à l’énergie solaire, et la rareté des ressources contrebalancée par des robots-mineurs à énergie solaire.

Et tout comme les ordinateurs et Internet ont produit d’énormes quantités de média (comme ce blog) gratuits pour les utilisateurs, les imprimantes 3D et les désassembleurs vont pousser la production des objets vers la gratuité. Les gens pourront tout simplement télécharger des plans sur internet, mettre leurs ordures dans un désassembleur et imprimer de nouvelles choses. De toute évidence, cela ne fonctionnera pas de sitôt pour les objets complexes tels que les smartphones. Mais toutes les entreprises technologiques de monde se battent becs et ongles pour augmenter l’efficacité de leurs processus de fabrication. Sans compter que plus il y aura d’objets manufacturés, et plus nous serons soucieux de l’environnement et du recyclage, plus cet énorme stock mondial d’objets agira comme une autre pression déflationniste.

Ces pressions déflationnistes vont progressivement s’infiltrer dans le domaine des services où de plus en plus de processus sont automatisés et traités par des machines à l’efficacité croissante, des drones et des robots. Cela va progressivement englober les anciennes bêtes noires inflationnistes que sont les soins médicaux, les frais de scolarité et les coûts de construction et d’entretien. Bien sûr, je ne pense pas que cette dislocation aboutira à un chômage incurable permanent. Les gens vont trouver des choses à faire, et de nouveaux champs s’ouvriront, dont beaucoup sont encore à imaginer. Mais la tendance des prix est claire à mes yeux : beaucoup, beaucoup de stagflation et de déflation. Ceci, en fin de compte, est au cœur du capitalisme. La course à l’efficacité. La course à faire plus avec moins (y compris moins de productivité). La course pour les coûts les plus bas.

J’ai déjà écrit à ce sujet. Je plaisantais en appelant ça « l’hyperdéflation ».

Japonisation mondiale

Et le résultat évident, à tout le moins, est le Japon global. Ceci, bien sûr, n’est pas un désastre complet. Le Japon reste un pays relativement riche et stable, même après vingt ans de déflation. Mais le haut niveau d’endettement au Japon — et en particulier de dette publique — est un problème majeur. Certes, en tant qu’émetteur de monnaie souveraine qui emprunte dans sa propre monnaie, le gouvernement japonais ne court aucun risque de réelle banqueroute. Mais la croissance lente et la déflation entraînent une stagnation. Et sans croissance ni inflation, le gouvernement devra augmenter les impôts pour couvrir le déficit, rehaussant le cocktail et continuant le cycle de déflation de la dette. Évidemment, toutes les tentatives de la Banque du Japon pour relancer l’inflation et regonfler la dette grâce à des opérations monétaires complexes sur les marchés financiers se sont jusqu’à présent révélé inefficaces.

C’est là qu’une certaine forme de revenu de base universel entre en scène : en fin de compte, le moyen le plus direct pour stimuler l’inflation et l’activité économique productive est de mettre de l’argent entre les mains de la population. Ce que je suggère n’est rien de moins que de créer de la monnaie et de donner cet argent aux gens — plutôt que d’essayer de le pousser à travers le mécanisme de transmission compliqué et alambiqué des prêts du secteur financier. Ce sera finalement le filet de sécurité des gouvernements contre la déflation de la dette, et contre le chômage temporaire et l’inégalité économique créée par l’accélération technologique. Tout le reste, à ce jour, n’a été que coups d’épée dans l’eau. Et la pression déflationniste va devenir de plus en plus forte à mesure que l’efficacité progresse.

Jetez assez d’argent frais dans l’économie, injectez de l’inflation, et les recettes fiscales nominales pourront augmenter pour couvrir la charge de la dette. Inversement, si l’inflation est trop élevée, réduisez la création monétaire ou retirez de l’argent de la circulation pour freiner l’inflation, tout comme les banques centrales ont fait au siècle dernier.

Le plus grand obstacle à cela, à mon avis, ce sont les intérêts de ceux qui ont beaucoup d’argent, qui aiment la déflation car elle augmente leur pouvoir d’achat. Mais finalement, les gens riches ne sont pas seulement assis sur des liasses de billets. La plupart d’entre eux possèdent des entreprises qui pourraient tirer profit de clients aux revenus plus élevés et dépensiers. Et dans une spirale de dette déflationniste et de faillites en cascade, beaucoup de ces rentiers seraient ruinés, leurs clients manquant à leurs obligations.

Et oui, je sais qu’il y a des obstacles juridiques à distribuer de la « monnaie-hélicoptère », principalement la notion d’indépendance de la banque centrale. Mais je suis un défenseur de l’indépendance de la banque centrale, pour de multiples raisons. En fait, je ne pense pas que le revenu de base universel devrait être vu comme une dépense budgétaire, car je pense que les banquiers centraux impartiaux et connaissant l’économie ont tendance à être de meilleurs gestionnaires de l’expansion et de la contraction monétaire que des politiciens motivés — et généralement moins doués en économie. Donc, tout ce que je décris peut et doit être envisagé comme un outil de politique monétaire. En fait, ce que je préconise, c’est un nouvel ensemble d’outils de base pour la politique monétaire du XXIème siècle.