Le dernier livre du Dr Laurent Alexandre (La Guerre des Intelligences, Editions JC Lattès, septembre 2017) s’intéresse à l’intelligence artificielle (IA) et plus précisément à l’éducation des générations futures confrontées à cette nouvelle forme d’intelligence. Ce champ d’étude aurait pu être passionnant si, emporté sur sa lancée, l’auteur n’avait pas décidé d’aborder à peu près tout ce qui touchait à l’IA, finissant avec une multitude de scénarios possibles d’IA forte ou faible, agressive ou pacifique, intéressée ou désintéressée, etc. Il en arrive donc finalement de lui-même à reconnaître qu’il n’en sait pas plus que n’importe qui sur ce qu’il pourrait se passer, c’est-à-dire rien. 

Le futur a cette habitude d’être imprévisible, surtout à plus de 50 ans avec une révolution technologique au milieu. 

Pourquoi en faire un livre alors ?

La thèse à peine caricaturée du Dr Alexandre est que, pour pouvoir concurrencer l’IA, il sera nécessaire d’éduquer très différemment nos enfants, de les améliorer par des implants et par la génétique pour qu’ils augmentent toujours plus leur QI face à une IA bientôt superintelligente. Cette manie autour de la concurrence économique est bien plus un trait révélateur de la pensée du Dr Alexandre que de la réalité. En cela, elle révèle une croyance de l’auteur et de ses semblables, une vision dépassée de l’économie datant de la fin du siècle dernier bien plus que du futur qui s’ébauche en ce moment-même et qui se base sur la coopération. Nos enfants, pauvres êtres biologiques limités, devraient donc s’efforcer de concurrencer une IA quasi-omnisciente par son ubiquité, ses capacités de calcul infinies et sa permanence temporelle liée à son absence de besoins physiologiques. Bonne chance à eux…

Cette solution prônée par le Dr Laurent Alexandre fait penser à une solution qui aurait pu être proposée lors de l’irruption de la voiture et de l’avion par le passé, au début du XXè siècle. Pour répondre à cette révolution technologique qui permettait de se déplacer bien plus vite que l’homme naturel ne le peut, il aurait donc fallu injecter des anabolisants aux enfants de l’époque et les faire courir 8 heures par jour, pour qu’ils courent plus vite. Et si au contraire on leur avait plutôt appris à coopérer, à conduire des voitures et des avions plutôt qu’à essayer de concurrencer ces machines ? 

Et si, plutôt que concurrencer l’intelligence artificielle, coopérer avec elle était la solution pour éviter des scénarios à la Matrix ou Terminator surchargés de domination et de violence ? 

Au lieu d’augmenter nos enfants, leur apprendre à travailler et vivre ensemble, IAs, hommes et écosystèmes, serait une bien meilleure solution. Le progrès de l’IA questionne avant tout (et révèlent) nos propres limites conceptuelles.

Au milieu du livre surgit une critique du revenu universel (RU) (critique reprise dans un article de Wedemain du 26 janvier dernier), comparé à l’inceste par l’auteur, sûrement par l’horreur que le RU lui inspire. Il est vrai que dans une vision concurrentielle du monde, le RU est un filet de sécurité ignoble qui empêche la lutte entre tous pour n’en garder que les survivants, les vainqueurs. 

Le revenu universel est surtout un filet de liberté, une source de coopération libre, par le choix de son activité, de son travail et de son temps. 

Sans comprendre que la coopération est encore plus importante que la concurrence, il est impossible de voir que le RU est un outil fondamental de notre futur, donnant aux hommes la capacité de vivre tous ensemble sans se faire toujours la guerre, qu’elle soit économique, politique ou sociale. Le RU est au fondement de cette vision basée sur la coopération libre, sur la créativité de chacun. L’intégration de plus en plus importante de l’intelligence artificielle dans notre économie et nos vies est en ce sens une opportunité, si nous savons coopérer, et le RU une proposition de bon sens qui évite le prolongement néfaste de la hausse des inégalités et nous libère tous.

Le revenu de base n’est pas une aumône, il est un détonateur de talents, d’initiatives et de réalisation de soi. 

Il nous unit et nous relie plus qu’il ne nous oppose. Le débat sur l’IA et le revenu de base est le parfait miroir de nos propres peurs et préjugés actuels, mais il révèle également nos espoirs et nos potentiels.

Sébastien Groyer, membre du Mouvement Français pour un Revenu de Base


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