Guy Valette revient sur son blog sur la proposition de revenu universel de Benoit Hamon, candidat socialiste à l’élection présidentielle française.

Benoit Hamon, dans le cadre de la campagne pour l’élection à la Présidence de la République, a eu l’audace de défendre l’idée de l’instauration d’un revenu universel qui serait à terme d’un montant de 750 € pour les plus de 18 ans. Nous ne pouvons que nous réjouir que le débat sur cette idée dont l’heure est venue soit aujourd’hui sur la place publique. Mais l’équipe du candidat semble hésiter sur les mesures transitoires à mettre en place. Beaucoup de questions se posent : Faut-il privilégier les 18 – 25 ans ? rendre le RSA automatique pour les ayants-droit pour éviter le non recours ? Limiter ce revenu inconditionnel aux bas salaires ? à 1,9 fois le SMIC ? et qu’advient-il du revenu universel pour les enfants ainsi que des allocations familiales ? comment fait-on pour passer d’un impôt sur le revenu calculé avec le quotient familial à une contribution individuelle, fusion de l’I.R. avec la C.S.G ?

Ce jeudi 9 mars, après l’émission politique de France 2, on s’oriente vers une aide pour les 18 – 25 ans dont le montant serait dégressif en fonction des revenus… et même nul pour ceux qui toucheront 1,9 smic ou plus. Mesure qui serait aussi étendue à tous les travailleurs, en substitution à la prime d’activité. Il n’est donc plus vraiment question d’un revenu universel.

En résumé il s’agit d’un énième toilettage de la gigantesque panoplie des aides conditionnées aux revenus et à la situation familiale mais en aucun cas de la mise en place de ce droit universel et inconditionnel à une existence digne. Il va falloir encore prouver que l’on est dans la précarité pour obtenir d’une bureaucratie condescendante une aide qui évoluera au gré de l’activité rémunérée de chacun.

L’application de cette mesure à certaines catégories de la population, réduit considérablement la puissance de cette idée et remet en cause ses fondements que sont à la fois l’inconditionnalité et l’universalité. C’est piétiner le principe de base de ce revenu d’existence, celui d’un revenu attaché à la personne humaine, d’un dû de la société à l’individu. Chacun doit avoir un droit à un revenu minimum pour se nourrir et se loger dignement, comme il doit avoir droit aussi à un accès gratuit aux soins et à l’instruction. Ce sont les conditions élémentaires de l’épanouissement et de l’émancipation de l’être humain. Il s’agit bien d’un droit fondamental de la personne qui ne peut souffrir aucune exception.

L’allocation de ce revenu ne doit en aucun cas être aliénée à un mode d’organisation de la société mais c’est bien à la société de s’organiser pour en assurer son financement en toute circonstance.

La marche vers instauration d’un revenu universel doit donc se faire en respectant ces principes fondamentaux. Une phase préparatoire est nécessaire pour basculer du système actuel de redistribution complexe stigmatisant coûteux et impuissant à éradiquer la pauvreté, vers l’allocation d’un véritable revenu d’existence avec son financement.

Nous avons montré qu’avec un revenu universel de référence de 750 € pour tous, revenu modulable au cours de la vie, en fonction des nécessités, on pouvait se dispenser avantageusement du système actuel de redistribution qui s’appuie sur les recettes fiscales suivantes : l’I.R.P.P. (72 Milliards €) payé par moins de la moitié des foyers fiscaux, l’I.S.F. (5 Milliards €) qui ne concerne que 1% des contribuables et la C.S.G. (90 milliards €) qui touche l’ensemble des revenus d’activité et du patrimoine. Recettes consacrées d’une part au financement des aides aux familles, assurer les minima sociaux (RSA , ASPA) et les aides à l’emploi (Prime d’activité, CICE, réduction Fillon) et d’autre part à compléter les recettes de la Sécurité Sociale dans son ensemble.

Par exemple pour un revenu universel d’un montant de référence de 750 €, de la naissance à la mort, on peut envisager d’allouer :

  • 250 € jusqu’à 14 ans, et 400 € de 14 à 18 ans versés aux parents,
  • 750 €  à partir de 18 ans, avec 12 années à 1000€ en fonction des nécessités et des aléas de la vie,
  • 1000 €  à partir de 62 ans.

Montant qui pourrait être financé individuellement dès le premier euro, par une « C.S.G. » de 30 % en moyenne sur les revenus bruts d’activités (salaires, indemnités, pensions de retraite, allocations chômage) et une taxe sur le patrimoine net de 1,5 %, en moyenne par an, sur l’ensemble du patrimoine privé net et par une cotisation de 7,5 % de l’Excédent Brut d’Exploitation qui rémunère le capital dans le partage de la valeur ajoutée et qui se substituerait à la cotisation sur les salaires pour les allocations familiales de 5,25 % devenue inutile.

Une première étape consiste à préparer l’infrastructure de cette nouvelle redistribution. L’individualisation de l’impôt sur le revenu avec la suppression du quotient familial et la fusion avec la C.S.G existante ainsi que l’allocation dès le premier enfant de la part du revenu universel qui revient aux parents pour l’éducation est certainement la première phase à mettre en œuvre pour préparer le déploiement du dispositif à l’ensemble de la population.

Etape N°1 : Réforme fiscale et allocation par enfant

La seule allocation qui était inconditionnelle jusqu’en 2014 était l’allocation familiale versée dès le deuxième enfant. Depuis, elle est aussi assujettie aux ressources de la famille. Son financement est assuré en grande partie par une cotisation sur le salaire brut de 5,25 %. Le coût global des allocations familiales est de l’ordre de 14 milliards d’€ pour 12 millions d’enfants. L’ensemble des prestations de la branche famille de la C.A.F. est d’un montant de l’ordre de 60 Milliards d’€ financé au 2/3 par les cotisations “patronales” sur le salaire brut (40 milliards €).

Un autre volet de la politique familiale est constitué par le calcul de l’impôt sur le revenu sur la base du quotient familial. Par ce système de part et demi-part attribuées au titre des enfants, on aboutit à des réductions d’impôt par enfant qui augmentent plus que proportionnellement avec le revenu des parents. L’avantage fiscal lié au quotient familial est très concentré au bénéfice des foyers disposant des revenus les plus élevés : en 2009, les 10 % de foyers qui ont les plus hauts revenus se sont partagé 46% du total de la réduction d’impôt liée au quotient familial (soit 6,4 milliards d’euros). Les 50% les plus pauvres se sont partagé seulement 10% de la somme (moins de 1,4 milliard).

Enfin la perte de recettes de l’État à cause de cette niche fiscale dissimulée est de l’ordre de 37 milliards. Ainsi les aides aux familles représentent avec cette faveur fiscale près de 100 milliards d’€.

En individualisant l’impôt sur le revenu, en fusionnant avec la C.S.G (8 %) et en allouant inconditionnellement pour chaque enfant une somme forfaitaire (250 € jusqu’à 14 ans et 400 € jusqu’à 18 ans) les aides seraient plus équitablement réparties entre les familles les plus pauvres et les plus aisées.

Le coût de cette nouvelle allocation universelle pour les enfants serait de l’ordre de 49 milliards.

Avec le barème actuel de l’impôt les recettes de l’État augmenteraient par l’individualisation de 37 milliards. Avec les 14 milliards des allocations familiales versées actuellement par la C.A.F. le coût de cette première réforme serait nul pour les finances publiques, mais l’impact sur les familles les plus pauvres serait particulièrement important.

Par exemple pour une famille composée d’un couple et d’un enfant avec des revenus mensuels nets de :

  • 1 x 1200 €, elle ne paie pas d’impôt et ne reçoit pas d’allocations familiales, dans cette première étape, il continue à ne pas payer d’impôt mais il reçoit 250€ ou 400€ par mois d’allocation le gain annuel serait de 3000 € à 4800 € par mois.
  • 2 x 2000 €, elle paie 200 € par mois d’impôt et ne reçoit pas d’allocations familiales, l’impôt individualisé s’élève à 2x 140 €,soit 280€ pour le couple avec l’allocation enfant (250€ ou 400€) le gain annuel est encore de 2040 € ou 3840€.
  • 1 x 4000 €, elle paie 200 € par mois d’impôt et ne reçoit pas d’allocations familiales, l’impôt individualisé s’élève alors à 600 € avec l’allocation enfant (250 € ou 400 €) soit une perte annuelle de 1800 € ou un gain nul.

Ainsi contrairement à la situation actuelle les familles les plus aidées seront celles qui en ont réellement besoin pour l’éducation de leurs enfants.

Pendant cette année préparatoire, il faudrait aussi en profiter pour déplacer quelques « tuyaux » dans le coeur de la création de richesse qu’est le partage de la valeur ajoutée. Les cotisations « patronales » pour les allocations familiales, que l’on pourrait renommées cotisations pour le revenu universel, ainsi que les cotisations chômage seraient déplacées de l’assiette des salaires sur l’assiette de l’E.B.E. afin de soulager les entreprises employant beaucoup de main d’œuvre aux dépens des entreprises fortement automatisées. Ceci afin d’en finir avec les dispositifs d’aides à l’emploi (Réduction Fillon, C.I.C.E., réduction des cotisations des allocations familiales) qui ne dépendent que du nombre d’employés et des salaires bruts versés et non du taux de marge de l’entreprise. Actuellement une entreprise avec un taux de marge élevé reçoit la même aide qu’une entreprise au taux de marge nul et à même nombre d’emplois à même niveau de salaire. En outre ces aides focalisées sur les bas salaires, à cause des seuils, bloquent toute évolution dans le temps de ces salaires. ( lire : « Comment rebattre les cartes pour une nouvelle donne avec le revenu universel. ». Cette cotisation pour le revenu universel sur l’E.B.E. serait versée directement à la C.A.F. renommée Caisse de Solidarité Universelle (C.S.U.). Son montant serait du même ordre que le montant actuel soit 40 milliards d’€.

Enfin la dernière étape consisterait à créer à la C.S.U. un compte individuel avec des coordonnées bancaires pour chacun des résidents sur le territoire de plus de 18 ans et de fournir à l’administration fiscale au 31 décembre la situation de son patrimoine net.

Etape N°2 : Mise en place du revenu universel

A partir de 31 janvier de l’année suivante la C.S.U.:

  • versera inconditionnellement le montant du revenu universel (750 € ou 1000€ pour les retraités en particulier ou pour les personnes sans ressources) du mois suivant et
  • prélèvera, en lieu et place de l’impôt mensualisé établi l’année précédente, la contribution au revenu de base calculée en fonction 
    • des revenus d’activité, salaires bruts, pensions de retraite et allocations diverses du mois précédent déclarées à l’administration fiscale par l’entreprise, les institutions concernées ou l’entrepreneur individuel (C.S.G. de 30 % en moyenne)
    • et du patrimoine net (TAN de 1,5 % par an mensualisé).

Ainsi chacun des résidents basculera du système de redistribution actuel à une redistribution avec le revenu de base.

L’administration fiscale étant comme actuellement chargée d’une part de recueillir les données sur les revenus et sur le patrimoine de chaque personne fiscale, d’en contrôler la réalité et de fournir mois après mois à la Caisse chargée d’allouer le revenu universel (la C.S.U.) les éléments de la contribution à prélever .

Les exemples suivants illustrent ce changement :

Dans les 5 situations en exemple l’effort contributif de chacun est inférieure avec le revenu de base qu’actuellement. Seule la tranche des 10 % des revenus et des patrimoines les plus élevés serait concernée par un effort supplémentaire.

Enfin le budget de l’État et des collectivités locales serait allégé du coût de toutes les aides à la famille, de lutte contre la pauvreté et d’aides en tout genre à l’emploi, aides devenues inutiles. Les pouvoirs publics pourraient orienter leurs efforts à l’accompagnement et à l’insertion des personnes en difficulté.

Il ne s’agit ici que d’un exemple qui montre que le revenu universel n’a rien d’une utopie fantaisiste. En redistribuant périodiquement les cartes et en veillant à donner à chacun au moins un atout maître, la société s’assure que tout le monde peut rester dans le jeu et participer à sa constante évolution.

Oui, le revenu universel augmente le bilan comptable de la dépense publique mais ce n’est qu’écriture parce que les recettes fiscales augmentent d’autant et, à la dernière ligne, le déficit public n’augmente pas, bien au contraire. Ce qui compte ce sont les effets redistributifs et ceux ci ne dépendent que de l’inégale répartition des revenus et de la richesse entre les membres de la communauté.

Ce dont nous sommes certains est que plus le système actuel perdure, plus il y aura de la précarité, plus il y aura de la pauvreté, plus il y aura de travail subi, plus il y aura de chômage, plus il y aura de frustrations et de souffrances, plus il y aura des maladies, des addictions, des violences et moins il y aura de talents, moins il y aura de richesses créées et moins il y aura de jours heureux. Et ce bilan, qui n’est pas comptable , est intolérable. Voilà pourquoi il est urgent de changer réellement de paradigme.

Alors M. Hamon ne restez pas au milieu du gué, soyez convaincu que ce revenu universel s’il est réellement universel transformera en profondeur notre société.

« Le revenu d’existence est bien de nature à modifier génétiquement la société. Il n’impose pas une forme préconstruite clé en mains, mais son instauration pousse l’ensemble de la société à se réorganiser spontanément. C’est pourquoi il faut en apprécier ses conséquences dans l’espace et dans le temps. »

Yoland Bresson fondateur de l’A.I.R.E.