Guy Valette nous propose sur son blog un article en forme de tribune pour défendre l’idée du revenu universel.

Depuis que les médias se sont accaparés de « cette idée dont l’heure est venue », et que plusieurs candidats à l’élection présidentielle l’ont intégrée dans leur programme de gouvernement, je ne comprends pas qu’on n’entende rien à ce revenu universel et inconditionnel. Je ne comprends pas qu’on ne comprenne pas que ce revenu de base, il est déjà là, invisible, mal en point, mais bien présent dans notre système de redistribution fait de bric et de broc avec, d’un côté, les laissés pour compte de notre système économique, chômeurs en fin de droit, personnes âgées sans ressources, familles mono parentales, qui galèrent mois après mois pour recevoir d’un État méfiant et sourcilleux de ses deniers publics un minimum vital, et de l’autre, des contribuables, de moins en moins nombreux, qui font la moue devant leur feuille d’impôt, pestant de devoir faire un chèque pour tous ces assistés, pendant qu’une très petite minorité, grâce à la magie de l’optimisation fiscale, se défile de cette obligation élémentaire de solidarité.

Il est bien là, ce satané revenu de survie, dans notre organisation sociale, mais tellement défiguré que personne ne le reconnait tant l’ « épreuve du guichet » peut être humiliante pour les ayants droit. Il se cache aussi, bien amoché, chez le smicard ou le travailleur à mi-temps avec la prime d’activité dont le calcul du montant est incompréhensible, avec les réductions de charges (C.I.C.E. et réduction Fillon) octroyées à l’aveugle à des entreprises qui n’en n’ont pas toujours besoin. Un temps on a failli le reconnaître dans les allocations familiales qui, il y a encore quelques années, étaient versées inconditionnellement à partir du deuxième enfant. On nous le cache, parce qu’il faut souffrir pour l’obtenir, prouver que l’on est bien abimé par la vie pour le toucher. La Caisse des Allocations familiales (C.A.F.) s’échine à le distribuer en le maquillant pour qu’on ne le reconnaisse pas : A coté des alloc., il y a le R.S.A, Revenu de Solidarité Active qui a remplacé le Revenu Minimum d’Insertion, dont le montant dépend de la situation familiale de chacun – seul(e) ou bien accompagné(e) le montant n’est pas le même – et il peut disparaître à la vue de quelques subsides gagnées dans une activité. Il y a l’A.S.P.A., le minimum vieillesse, pour les personnes âgées sans ressources, d’autres minima sociaux, les allocations logement et toutes sortes d’aides censées maintenir hors de l’eau les plus démunis et ainsi leur permettre de faire face tant bien que mal aux obligations de la vie. Pour financer tous ces dispositifs de lutte contre la pauvreté, d’aide aux familles, d’aide à l’emploi et de lutte contre le chômage, l’État engloutit quasiment entièrement l’équivalent de l’impôt sur le revenu (I.R.) payé par la moitié des contribuables (75 Milliards), la C.S.G. payée par tous (90 milliards) et l’I.S.F. (5 milliards) que seuls 1% de privilégiés ont la chance de payer. Milliards qui ne réussissent pas à sortir 9 millions de personnes de la pauvreté et plus de 6 millions de demandeurs d’emploi du chômage.

Aujourd’hui il est temps de sortir des placards de la bureaucratie ce revenu de survie, de le toiletter pour le rendre inconditionnel et universel et de lui donner toute la place qu’il mérite dans la société, car je ne comprends toujours pas que l’on trouve évident de nourrir, de soigner et de mettre des tuteurs à un arbre pour avoir des beaux fruits et que l’on n’entende pas que tout être humain devrait avoir droit aussi, pour pouvoir s’épanouir et s’émanciper, à un accès gratuit aux soins, à l’instruction et à un minimum de ressources pour se nourrir et se loger dignement.

Je ne me résous pas à ce que l’on ne conçoive pas qu’il s’agit d’un dû de la société toute entière à chaque individu. Que ce revenu d’existence, c’est aussi une part de cet héritage collectif que les générations antérieures nous ont légué avec leurs découvertes, leurs connaissances et leurs savoirs dans les domaines de la science de la technologie de l’art et la culture, avec la façon dont ils ont organisé le pays, modelé les paysages, construit des infrastructures, des moyens de communications rapides et efficaces, les villes et les villages qui sont nos lieux du quotidien. Toute cette richesse héritée du passé, véritable terreau des progrès à venir, n’a aucune raison d’être privatisée pour ne servir que les intérêts d’une minorité.

Alors je ne comprends pas que l’on ne pige pas que l’inconditionnalité du revenu universel et son universalité tant dans l’allocation que de la contribution permettrait de donner à tous cette nécessaire assurance contre tous les aléas de la vie.

Pourquoi trouverait-on utopique de contribuer chaque mois d’une manière simple et transparente, en fonction de ses revenus et de son patrimoine, à financer une allocation inconditionnelle pour le mois suivant, véritable « avance sur recettes » qui serait simultanément déduite de sa contribution individuelle, C.S.G. rebaptisée C.A.S.U. , contribution et allocation de solidarité universelle, en lieu et place de l’usine à gaz du système actuel ?

Pourquoi ne pas comprendre qu’il n’en coûterait rien au budget de l’État ? Bien au contraire la gestion, le contrôle en serait allégé et nous serions assurés que chacun soit immunisé contre la pauvreté.

Pourquoi tous les journalistes de tous les médias, tous les « experts », répètent sans aucune vérification que ce revenu universel « ruinerait » notre pays avec comme seule justification une multiplication sommaire du nombre d’habitants par le coût annuel de cette « chimère » ? Comme si les 66,9 millions de personnes qui résident en France ne seraient que des pouilleux sans ressources et sans activité, qui attendraient la gueule ouverte leur ration mensuelle qui viendrait d’on ne sait où. Quelle insulte à l’intelligence humaine !

Je ne comprends pas que l’on ne trouve pas évident que l’intensité du flux de cette redistribution universelle et inconditionnelle ne dépende que du niveau des inégalités et de la distribution des revenus et de la richesse dans la société. Moins il y aura de pauvres et de démunis moins l’effort demandé aux plus riches sera important.

Enfin je ne me fais pas à l’idée que ce satané revenu universel et inconditionnel serait un frein au travail et donc à la création de richesse. En donnant à chacun cette capacité à choisir son activité, un emploi, à acquérir de nouvelles compétences, à abandonner un travail de survie pour réaliser un projet personnel, à dire non à des tâches dangereuses ou pénibles qui pourraient être automatisées pour occuper un emploi plus qualifié et plus gratifiant, il est certain que la richesse créée serait plus importante. Il est évident aussi que la santé, l’éducation de l’ensemble de la société s’amélioreraient, que le chômage diminuerait par une réduction individuelle inéluctable du temps consacré à un emploi salarié.

Je voudrais aussi que l’on m’explique pourquoi les machines, les robots, les automates qui remplacent l’ouvrier ou la caissière dans la création de la richesse ne contribueraient-ils pas au financement de ce dividende universel, pourquoi la création monétaire serait la chasse gardée des banques privées qui se goinfrent, sur notre dos et sur le dos de l’État, avec les intérêts de l’argent-dette alors que la monnaie ne devrait être qu’un bien public.

Je suis étonné que l’on ne se réjouisse pas que, grâce à ce revenu découplé de l’emploi, on aurait plus de temps libéré, plus de temps à consacrer à sa famille à ses amis, plus de temps pour participer à des activités sociales ou politiques dans la cité.

Alors pourquoi en haut lieu feint-on de ne pas comprendre ? Pour ne pas rompre les liens de dépendance à ces aides conditionnées ? Pour asseoir son pouvoir sur une population de démunis et de frustrés qui ne cesse de croître et ainsi maintenir ses propres privilèges ? Pour conserver l’ensemble de la population active en état de manque sévère par rapport au salariat et ainsi justifier l’inacceptable en matière de salaires, de conditions et d’horaires de travail ? Pour continuer à privatiser les profits et à socialiser les pertes ? Non je ne voudrais pas croire qu’il en soit ainsi.

Vraiment je ne comprends rien à cette incompréhension et je prie tous ces éclairés par les spots des studios de bien vouloir m’expliquer en quoi une main tendue sous condition, la complexité d’une aide chichement octroyée serait moins coûteuse financièrement et humainement que ce simple gilet de sauvetage que chacun porterait pour être assuré de ne pas craindre les tempêtes et les difficultés de la vie.

Mais peut-être que je ne suis qu’un rêveur nostalgique, qu’un étourdi ; l’humanité aurait déjà fait naufrage et je ne m’en serais pas aperçu.