Dans un article publié sur son blog Alternative 21, Guy Valette aborde les coûts réels qu’engendrerait l’instauration d’un revenu universel de 750 € par personne et par mois.

Nous devrions nous réjouir. Il ne se passe plus un jour sans un article de journal, sans une émission à la radio ou à la télé, sans qu’un candidat à la présidence à la république, sans qu’un expert ne parle du revenu universel. Le problème est que la plupart des journalistes, des responsables politiques, des experts économiques qui doutent de la pertinence de ce revenu d’existence ont pour argument principal le coût exorbitant d’une telle mesure. La démonstration semble imparable : 65 millions x 750 x 12 = 585 milliards d’euros pour un revenu universel de 750 € par personne et par mois. C’est presque deux fois le budget de l’État. Ce revenu de base ne serait qu’ une belle idée à ranger dans la boite à utopie comme le souligne le dernier papier de l’OFCE sur le sujet. Nos experts, le sourire en coin et avec beaucoup de condescendance, nous remercient de faire rêver le petit peuple mais il faut être réaliste, après tout notre système social à la française aurait montré son efficacité pendant la crise. Un petit lifting devrait suffire pour en supprimer les quelques défauts.

Pourquoi tant de mauvaise foi pour dénigrer cette belle idée dont l’heure est pourtant venue ? Faire ce très mauvais calcul, c’est considérer l’ensemble de la communauté comme totalement inactive, qui attendrait mois après mois, comme du bétail en batterie, sa ration mensuelle pour ensuite aller s’assoupir jusqu’à la prochaine distribution. C’est avoir une piètre idée de nos concitoyens qui créent bon gré mal gré 2 000 milliards d’€ de richesses nouvelles par an, sans compter l’ensemble des activités sociales et familiales qui distribuent du bien-être sans être considérées comme des activités marchandes dans le calcul du PIB. L’ensemble des revenus d’activité sont de l’ordre de 1 200 milliards d’€, le patrimoine net privé est valorisé à plus de 10 000 milliards d’€, soit plus de 5 fois le P.I.B. Mais ces revenus comme ce patrimoine sont très mal distribués. Il y a aujourd’hui plus de 9 millions de personnes qui survivent dans la précarité avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté (60% du revenu médian). Le salariat n’arrive plus à distribuer un minimum de richesse à chacun et notre système social adossé à la cotisation est sous perfusion de l’État avec la C.S.G. (8% de tous les revenus – 90 milliards €). Il faut donc redistribuer un peu ce qui a été mal distribué pour assurer la survie de ceux que notre système économique exclut.

Le coût n’est pas dans la quantité d’argent que l’on met en jeu, il est d’une part dans le budget de fonctionnement du système de redistribution et d’autre part dans le degré d’inefficacité à atteindre les objectifs fixés. Aujourd’hui c’est l’État qui se charge de cette mission. Le coût de fonctionnement de cette redistribution, encore insuffisante pour éradiquer la pauvreté et la précarité, est loin d’être négligeable.

UNE REDISTRIBUTION PAR LE BUDGET DE L’ÉTAT INEFFICACE ET COUTEUSE

Tant bien que mal l’État collecte l’impôt sur les revenus (IRPP : 75 milliards d’€), l’impôt sur la fortune (I.S.F. : que 5 milliards d’€ !) auprès d’un nombre de plus en plus réduit de contribuables qui essaient par tous les moyens d’« optimiser » leur dû. Collecte, percluse de niches en tout genre (coût : 80 milliards d’€), qui mobilise pour le contrôle des milliers de fonctionnaires et dont s’exemptent légalement avec l’aide d’avocats fiscalistes, ou illégalement avec la fraude fiscale, une partie des 1% les plus riches. (Coût de l’évasion fiscale en France de 40 à 60 milliards d’€).

Avec le montant de ces prélèvements, péniblement rassemblés avec la C.S.G payée par tout le monde, l’IRPP payé par moins de 50 % des foyers fiscaux (lien), l’ISF payé par moins de 350 000 sur 38 millions de foyers fiscaux (moins de 1%) l’État complète d’une part le budget de la Sécurité Sociale (20% du budget global de 475 milliards) pour distribuer par l’intermédiaire de la C.A.F les minima sociaux (RSA, ASPA, etc…) les aides aux familles, l’allocation logement. D’autre part ces dernières années, face à la montée du chômage, l’État a cru bon de mettre en place des aides pour alléger les « charges » des entreprises afin améliorer la compétitivité des entreprises et encourager l’embauche (C.I.C.E, emplois jeunes, réduction Fillon, etc…). Aides qui se révèlent peu efficaces dans la création d’emploi et qui « coûtent » chaque année au budget de l’État jusqu’à 50 milliards d’€, qui, faute de demande et devant un appareil de production sous utilisé se retrouvent en partie dans la poche des actionnaires au lieu de contribuer à la lutte contre le chômage.

Toutes ces aides conditionnées au degré de précarité et à la situation familiale de chacun, sont stigmatisantes et dévalorisantes pour la personne en situation de détresse. Devant l’« épreuve du guichet » beaucoup renoncent à leur droit ou au contraire hésitent à accepter un emploi, ou à déclarer une activité qui remet en cause une aide vitale. La gestion, l’administration et les contrôles qu’exigent ce mode de redistribution mobilisent plus de 80% des employés de la C.A.F. restreignant d’autant les missions d’accompagnement nécessaires à l’insertion sociale de tous les victimes d’un système de plus en plus inhumain.

Ainsi ce n’est pas l’argent redistribué pour panser les plaies d’un système injuste qui est une charge pour la société mais bien toutes ces dépenses supplémentaires de fonctionnement que ce système exige tant dans la récolte des ressources que dans cette redistribution complexe à mettre en œuvre auxquelles s’ajoutent toutes les frustrations que le système impose pour l’allocation de ces aides chichement distribuées. A ce coût inhérent au fonctionnement des services de recouvrement et d’allocation s’ajoutent aussi les pertes de recettes au budget de l’État qu’imposent les plus riches grâce aux niches et à l’évasion fiscale ; le coût c’est aussi le degré d’inefficacité de mesures comme le C.I.C.E.

LE REVENU UNIVERSEL : UN ATOUT MAITRE POUR CHACUN, MOINS DE CHARGES POUR LA COMMUNAUTÉ

Le revenu universel et inconditionnel, par sa simplicité de mise en œuvre, par la redistribution intrinsèque au propre corps social et qui concerne chaque individu est tout simplement le moyen le plus efficace d’immuniser l’ensemble d’une communauté contre la précarité et la pauvreté. Chacun perçoit inconditionnellement tout au long de la vie ce minimum vital, chacun contribue en fonction de ses revenus d’activité, de son patrimoine et du capital productif qu’il met en jeu, (voir l’article : « Ça changerait quoi pour vous un revenu de base universel et inconditionnel tout au long de la vie ») le tout pouvant être administré par une caisse comme la Caisse des Allocations Familiales rebaptisée Caisse du Revenu Universel, sans avoir besoin d’avoir recours aux services de l’État, celui-ci se trouvant du même coup dispensé de prélever l’impôt (IRPP, l’ISF et CSG).

Certains contribueraient plus qu’ils ne reçoivent mais n’est-ce pas le cas aujourd’hui pour la plupart des contribuables ? Si on ne peut pas parler de coût quand chacun contribue en fonction de ses moyens à l’allocation de ce minimum vital on peut affirmer que par sa simplicité dans la collecte et dans l’allocation, ce mode de redistribution est bien plus efficace que le système actuel basé sur le recouvrement de l’impôt et l’allocation ciblée et conditionnée d’aides multiples et variées.

Si l’ensemble du corps social ne serait ni plus pauvre, ni plus riche, chacun disposerait chaque mois d’une carte maîtresse, d’un joker, pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires grâce à la solidarité de tous. Délivré de cette obsédante obligation d’assurer sa propre survie et celle des siens qui épuise et absorbe une grande partie de l’énergie humaine, nous pouvons affirmer que chacun pourrait trouver les moyens de s’émanciper et de s’épanouir, de pouvoir dire non à un emploi dangereux pour sa santé, de réduire le temps consacrée à un emploi particulièrement pénible ou insatisfaisant. Ainsi chacun pourrait trouver la place qui lui convient dans la société en fonction de ses goûts, de sa personnalité et de ses propres compétences acquises.

Cessons de laisser croire que le revenu universel inciterait à l’inactivité et à l’oisiveté. Ce minimum vital assuré changerait simplement le rapport de subordination de chacun à un emploi. On n’accepterait plus n’importe quel travail rémunéré à n’importe quel prix pour vivre mais, avec ce minimum vital assuré, on pourrait choisir ses activités et la place que l’on désire assumer dans la société.

Les emplois pénibles et dangereux seront inoccupés ? En attendant de trouver les moyens de les mécaniser ou de les automatiser, on réduirait le temps de travail des personnes concernées ou/et on augmenterait les salaires. Des emplois inutiles seraient abandonnés, tant mieux. Ce qui est certain est qu’en donnant l’initiative à chacun de choisir ses activités et le temps qu’il consacre à un emploi rémunéré, il ne fait aucun doute que le chômage diminuerait, que les addictions et la criminalité seraient réduites et que la santé de tous s’améliorerait. En conséquence, outre le bien-être et la sérénité inestimable qu’il pourra procurer, ce n’est plus le coût du revenu universel qu’il faudra mettre en avant mais bien la diminution des budgets consacrés à tenter de réparer les maux que notre système économique actuel nous impose.

Ce revenu inconditionnel et universel découplé de l’emploi est tout simplement l’expression d’un droit universel et inconditionnel à une existence digne. Avec l’accès gratuit aux soins et à l’instruction il permet à chacun de s’épanouir et de s’émanciper. Laisser croire que ce revenu universel ne serait qu’une charge pour la société et qu’une incitation à l’inactivité et à la marginalisation comme l’indique la conclusion de l’article de l’O.F.C.E. (1) c’est méconnaître les ressorts profonds de la nature humaine qui ne peut se révéler que dans son rapport à l’autre et dans l’exercice d’une activité reconnue socialement et c’est avoir aussi une vision un tantinet schizophrénique de notre propre communauté humaine en mettant perpétuellement en avant un fantasmagorique « coût des autres ». Enfin n’est-ce pas considérer l’être humain comme un être mineur si c’est à la société de fournir à chacun un emploi comme le préconise la conclusion de l’article ?

On ne peut que regretter que nos experts économiques n’aient qu’une vision comptable et rabougrie de la société des hommes qui devrait délimiter régulièrement son lot de précaires subordonnés aux aides d’un État paternaliste et bienveillant. Permettons-nous encore d’espérer qu’un autre chemin est possible et que le revenu universel est non seulement une utopie très très utile mais aussi une impérieuse nécessité (pour répondre à la question du titre du rapport de l’O.F.C.E. sur le sujet).

NOTE : Pour bien faire comprendre l’effet distributif du revenu de base :

  • Pierre est sans revenu, actuellement au RSA avec les allocations logement il touche autour de 750 €.
  • Marie a un salaire brut autour du SMIC et perçoit la prime d’activité et une allocation logement.
  • Paul à un salaire brut de 2 250 €, Anne de 3 000 € et Jacques 4 500 €. On calcule leur revenu net d’impôts (CSG + IRPP) (en jaune dans le tableau) et on compare avec une redistribution avec un revenu universel de 750 € et une contribution de 30% sur les revenus brut d’activité (en vert dans le tableau).
  • Tous sont assurés sans aucune formalité ni contrôle d’avoir à minima 750 € de revenu et personne n’a avec le revenu universel et un prélèvement de 30% des revenus inférieurs à leur situation actuelle.
  • En revanche l’Etat est dispensé de contrôler les revenus des cinq ainsi que la situation d’allocataire de Pierre et de Marie. Les aides (minima sociaux, AL, aides à l’emploi, etc…) devenant inutiles l’IRPP et la CSG n’ont plus lieu d’être.
  • Les deux modes de redistribution sont comparables mais l’inconditionnalité du RU libère l’individu de la crainte de la précarité. En outre une modulation entre l’enfance (par exemple : 250 €) et l’âge adulte permettrait d’assurer un revenu de l’ordre du seuil de pauvreté à 1 000 € pendant une période de sa vie.

(1) Extrait de la conclusion de l’article “LE REVENU UNIVERSEL UNE UTOPIE UTILE ? » de Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak, O.F.C.E. Sciences Po (lien) : « Les personnes sans ressources ne seraient plus contraintes de chercher un emploi ou de s’inscrire dans un processus d’insertion pour avoir droit à un revenu minimum. Cela peut être considéré comme une liberté supplémentaire. En sens inverse, la société renoncerait à l’objectif de fournir un emploi à chacun. Elle s’estimerait quitte en ayant versé le revenu d’existence. Faut-il qu’une partie importante de la population vive ainsi à la lisière de la pauvreté, sans le lien social que représente aujourd’hui le travail ? S’il règle le problème du non-recours et réduit la pauvreté monétaire, s’il permet d’éviter la stigmatisation et de supprimer les contrôles humiliants, le revenu de base a un coût financier important, non pas dû à son objectif principal, aider les personnes en situation de précarité, mais à une conséquence latérale, verser une somme importante à tous. Vu ce coût, la crédibilité de sa mise en place est faible. »