Dans un récent rapport consacré au revenu de base, la fondation Jean Jaurès met en avant trois scénarios de financement. Mais ces propositions fragiliseraient la protection sociale dans son ensemble.

Le dimanche 22 mai, la Fondation Jean Jaurès a publié un rapport intitulé « Le revenu de base, de l’utopie à la réalité ? ». Si cette initiative d’un groupe de réflexion important au sein de la gauche française est à saluer, car elle présente différentes conceptions du revenu universel et leurs différentes justifications philosophiques, le Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) apporte quelques réserves aux propositions de la fondation Jean Jaurès, et notamment aux modalités de financement proposées. 

Le rapport pose les définitions d’un revenu de base, entendu selon la définition de Philippe Van Parijs comme un « revenu versé par une communauté politique à tous ses membres, sur la base individuelle, sans contrôle de ressources ni exigence de contrepartie ». Les auteurs prennent notamment le temps de revenir sur l’histoire de ce concept, en repartant de Thomas Paine, et de l’idée d’une dotation inconditionnelle. Ils s’attachent également à présenter la variété de ses justifications et de ses défendeurs. S’ils opèrent une distinction entre deux grandes approches du revenu de base (libertarienne et marxiste/écologiste), ils relient cependant ces courants à des propositions de financement uniques : un impôt négatif financé par un impôt proportionnel dans le premier cas et un outil de sortie du capitalisme d’un montant élevé dans le second. Ils étudient également un troisième courant, dit « social-démocrate », duquel les auteurs semblent se rapprocher et dont découlent leurs propositions.

Cependant, les auteurs raisonnent en considérant que la vision du revenu de base dépend uniquement de son montant, alors qu’il faut prendre en compte les allocations que celui-ci remplace : ainsi, un revenu de base de 500 € qui viendrait uniquement remplacer le RSA (et potentiellement les allocations familiales) serait plus favorable aux plus modestes qu’un revenu de base à 800 € qui viendrait sacrifier la protection sociale assurantielle (chômage, assurance maladie, retraites). La fondation met en avant 3 montants de revenu de base : 500 €, 750 € et 1000 €.

  • Celui de 500 € par mois serait financé par la refonte de l’actuelle protection sociale, en incluant les branches familles et maladies (hors ALD, affections de longue durée) de la sécurité sociale, mais en excluant les retraites.
  • Celui de 750 € par mois serait financé par une mobilisation de toutes les ressources de la protection sociale, hors ALD et retraites complémentaires.
  • Celui de 1000 € s’appuierait sur le même financement, en y ajoutant 153 milliards d’euros de prélèvements obligatoires supplémentaires.

Ces trois scénarios ont en commun d’être financés par un remplacement d’une partie de la protection sociale assurantielle (chômage, maladie, retraite) ; dans cette perspective, il n’est pas étonnant, et c’est d’ailleurs ce qu’affirment les auteurs, que le revenu de base à 500 € proposé soit défavorable aux plus modestes. Dans l’ensemble, ces propositions viennent fragiliser à court terme notre système de protection sociale, au lieu de le renforcer. Notre protection sociale est en réalité une mutualisation des risques sociaux (chômage, maladie, accident, etc) qui peuvent toucher les individus de façon inégale et souvent arbitraire. Si une réforme de ceux-ci est envisageable à terme, il ne s’agit pas pour le MFRB de tout fusionner en une allocation unique, qui viendrait fragiliser une grande partie de la population, notamment parmi les plus modestes — mais pas seulement.

Le MFRB rappelle que sa charte indique que « l’instauration d’un revenu de base ne doit pas remettre en cause les systèmes publics d’assurances sociales, mais compléter et améliorer la protection sociale existante. » Ainsi le revenu de base doit être un pilier supplémentaire de la protection sociale, et non pas un pilier qui viendrait se substituer à tous les autres.

L’erreur de la Fondation Jean Jaurès vient de leur postulat de départ suivant lequel un revenu de base doit être mis en place sans augmenter la dépense publique. Les auteurs reprennent à leur compte l’engagement du Président de la République à ne pas augmenter les prélèvements obligatoires, en supposant que cela risquerait de dégrader le consentement à l’impôt des contribuables aisés. Or, ce n’est pas l’augmentation d’impôt qui compte pour ces contribuables, mais leur revenu disponible à la fin du mois, après avoir payé les impôts et reçu leur revenu de base. Il existe justement des propositions de revenu de base où les contribuables voient l’augmentation d’impôt qu’ils supportent compensée par le revenu de base qu’ils perçoivent : cela dépend des paramètres fiscaux choisis.

Pour construire une proposition de revenu de base qui ne remet pas en cause les autres piliers de la protection sociale, il faut donc assumer le fait que le revenu de base va de pair avec une augmentation des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques. Mais il faut aussi dire que ce n’est pas un problème si les recettes de ce nouvel impôt couvrent les dépenses et que le budget de cette mesure est équilibré. Autrement dit, il ne faut pas raisonner en termes de budget brut, au risque d’entraver le financement de la protection sociale ou du service public. Par exemple, l’approche qui consiste à partir de l’échelle individuelle et à transformer le système redistributif actuel en y introduisant un revenu de base financé par l’impôt sur le revenu est une option concrète permettant de financer un revenu universel. On peut aussi réfléchir à une diversification des sources de financement pour contribuer au financement d’un revenu universel.

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Nous nous réjouissons donc que la Fondation Jean Jaurès s’intéresse au revenu de base, tout en espérant qu’elle continue ses travaux sur le financement et explore de nouvelles pistes, même si celles-ci augmentent l’indicateur de dépense publique — sans nécessairement réduire fortement le revenu disponible des plus aisés. Dans cette perspective, le MFRB se tient disponible pour apporter son expertise.