L’automatisation et la numérisation devrait permettre de libérer du temps de travail pour des activités qui ne sont pas automatisables et qui renforcent le lien social et le capital humain. Pourtant, le développement de ces services de “production de l’homme par l’homme” est encore insuffisant. En effet leur développement est ralenti par la malédiction de la “loi de Baumol” qui accroît leur coût de production. La proposition de distribuer les gains de productivité sous forme d’un revenu de base, via la TVA, permettrait de dépasser cette malédiction.

Contribution au colloque au Sénat du 19 mai 2015 : “Le revenu de base : un levier de transformation sociale pour l’économie de demain” dont voici la vidéo : 

L’automatisation et la numérisation pourraient être responsables de la disparition de près de 50% des emplois en France d’ici 20 ans selon une étude publiée en 2014 par l’Institut Bruegel [1]. Il faut aborder ce phénomène non pas comme une malédiction mais comme une véritable opportunité [2]. Une opportunité formidable pour réduire notre temps accordé aux tâches de travail les plus répétitives et les plus aliénantes, mais aussi et surtout une opportunité pour investir beaucoup plus les activités qui ne sont pas automatisables.

Parmi ces activités peu ou pas automatisables, on en trouve un certains nombre dans les secteurs du loisir et des services aux ménages : restauration et café, hôtellerie et tourisme, coiffure et bien-être, etc. Mais aussi toutes les activités qui ont les plus fortes externalités sociales et par lesquelles on renforce notre capital humain : la formation, l’accueil des enfants en bas âges pour favoriser la socialisation précoce et permettre à leurs parents de travailler, le soins aux personnes âgées et dépendantes, l’éducation à la culture et l’éducation populaire, la santé, les projets culturels et tous les services dits « relationnels » vecteurs de lien social et de capital humain. Pour désigner ces activités, Robert Boyer parle de « production de l’homme par l’homme ».

Pourtant, on observe que le déversement de travail vers ces secteurs est bien imparfait. En particuliers, on voit des pénuries d’offre dans certains secteurs, particulièrement dans l’accueil des jeunes enfants : il manque ainsi environ 400.000 places de crèche aujourd’hui [3]. Cette pénurie dans les secteurs intenses en travail provient en partie du fait que l’Etat ne dépense pas suffisamment pour favoriser leur développement. Mais cela s’explique aussi parce que les salaires augmentant en moyenne avec la productivité du travail, le coût de ces services augmente plus vite que celui des autres produits, du fait que ces services ne sont pas automatisables. C’est ce que l’on appelle la loi de Baumol, du nom de l’économiste qui a construit en 1966 cette théorie pour expliquer la hausse des prix dans les arts vivants à mesure que l’industrie gagnait en productivité [4].

Partant de ce constat, nous proposons un mécanisme par lequel les gains de productivité ne se traduisent pas uniquement par des hausses de salaires mais aussi par la distribution à tous d’un revenu de base universel, individuel et inconditionnel (partie 1). La mise en œuvre de ce mécanisme peut se faire de façon radicale ou progressive. Nous commençons par présenter une réforme radicale introduisant d’un coup un revenu universel (ou revenu de base) du montant du RSA actuel, l’assiette de financement de ce revenu de base étant la TVA (partie 2.A.). Ce revenu de base remplacerait le RSA, la prime pour l’emploi ainsi que diverses politiques de subvention à l’emploi (exonérations de cotisations patronales, CICE, crédit d’impôt pour l’emploi à domicile, contrats aidés). Après avoir vu le bouclage budgétaire de cette proposition (partie 2.B.), nous verrons que cette proposition conduit à la baisse des coûts dans les services dont la production repose essentiellement sur le travail et à la hausse du prix des biens dont la production est largement automatisés et des biens importés (partie 3). Puis, nous analyserons les effets redistributifs de cette proposition et verrons en quoi elle constitue une incitation à réduire le temps de travail salarié, favorisant ainsi une meilleure répartition des emplois (partie 4).

Cet article ne fait que présenter une ébauche de réforme, volontairement simplifiée pour faciliter la compréhension. Il pose les bases pour un travail de chiffrage avec des paramétrages plus précis et pour une simulation plus fine des effets attendus, notamment concernant les prix à la consommation. Toutefois, nous formulerons aussi une proposition permettant d’introduire le revenu universel de façon plus progressive et sans réforme radicale (partie 5).

I. La malédiction de la loi de Baumol et comment l’éviter

A. Le rôle de la loi de Baumol dans le développement insuffisant des services intenses en travail

Au moins une partie de l’insuffisant déversement de travail dans les secteurs non-intensif – y compris les services supérieurs de « production de l’homme par l’homme » (formation professionnelle, accueil des enfants en bas âges, soin aux personnes âgées et dépendantes, éducation à la culture et éducation populaire, activités locales[5], etc.) – provient du fait que leur coût de production augmente avec la productivité dans les autres secteurs, suivant la loi mise en évidence par William Baumol et Wiliam Bowen (1966) [6]. Lorsqu’un secteur automatise sa production, les gains de productivité sont redistribués pour partie par une baisse de prix, pour partie par une augmentation des revenus distribués aux propriétaires du capital, et pour partie par une hausse des salaires, comme cela est présenté par le schéma de déversement de Sauvy[7]. Cette augmentation de salaire se généralise naturellement à l’ensemble de l’économie. Dans les secteurs qui ont connu des gains de productivité (par exemple parce que certains emplois ont été automatisés), il n’y a pas de hausse des coûts de production puisque la hausse des salaires est compensée par les gains de productivité. En revanche, dans tous les secteurs où la production n’est pas automatisable, la hausse des salaires ne peut se traduire que par une hausse des coûts de production. Ainsi, lorsque l’automatisation permet des gains de productivité dans les secteurs de la production industrielle, cela conduit à une hausse des salaires dans l’ensemble de l’économie et se traduit en retour par une hausse du prix relatif dans les secteurs dont la production n’est pas automatisable (voir la figure 1 ci-dessous).

Schéma de déversement à la Sauvy et loi de BaumolLes graphiques ci-dessous illustrent bien cette hausse du prix relatif des services dont la production n’est pas automatisable. Ils représentent l’évolution par branche du prix relatif des biens par rapport aux prix moyen de tous les autres biens, calculé par le ratio entre l’indice de prix de cette branche et l’indice des prix à la consommation (base 100 en 1998) : les biens dont l’indice a augmenté ont vu leur prix à la consommation augmenter plus rapidement que les autres.

variation des indices de prix relatifs depuis 1998

Ce que l’on observe est bien cohérent avec la loi de Baumol : ce sont les services dont la production repose sur du travail qui ont vu leur prix augmenter, tandis que les produits dont la production est le plus automatisable ont vu leur prix diminuer. Pour les services du care comme les crèches ou les maisons de retraite, ce ratio a augmenté respectivement de 12% et 25%. On comprend alors que l’insuffisance des financements publics ne suffit pas pour expliquer le manque de place e crèche. Le ratio a augmenté de 22% pour les services récréatifs et de 13% pour l’éducation privée, formation professionnelle incluse.

Il est aussi intéressant de voir comment la loi de Baumol affecte les prix relatifs des autres biens et services. Le prix relatif de l’hôtellerie a augmenté de plus de 30% ce qui rend la concurrence avec des services de location entre particuliers type Airbnb d’autant plus préjudiciable à l’emploi dans ce secteur. Celui de la restauration et des cafés de 12%, malgré la réduction de TVA dont ces services ont bénéficié. L’achat de biens d’équipement (automobile neuve, moto, appareils audio-visuels, électroménager) est de moins en moins cher puisque leur production est de plus en plus automatisée et délocalisée (baisse du prix relatif de respectivement 7%, 23%, 87%, 41%) mais leur réparation est de plus en plus chère puisqu’elle n’est pas automatisable et repose sur de l’emploi non-délocalisable (+47% pour une automobile, +4% pour les appareils audiovisuels, +21% pour l’électroménager). Cette évolution est en contradiction avec les impératifs écologiques qui voudraient que l’on produise moins de bien d’équipements mais que l’on puisse plus facilement les réparer. De même concernant l’alimentation, le prix relatif des biens diminue lorsque leur production est largement automatisée (-15% pour les céréales, ‑7% pour les légumes surgelés ou en conserve) mais augmente lorsque la production repose surtout sur du travail (+8% pour les légumes frais et pour le pain).

Ainsi, le déversement vers le secteur des services supérieurs et non-automatisables est ralenti par la hausse des coûts de production dans ces services à mesure que les gains de productivité dans les autres secteurs font augmenter les salaires[8]. Soulignons que depuis plus de vingt ans, les politiques pour affronter ce problème ont consisté essentiellement en des subventions à l’emploi. Il s’agit d’abord de subventions qui sont ciblées sur les bas salaires mais ne sont pas ciblées sur certains secteurs en particulier, comme les exonérations de cotisation patronales dites « Fillon » ou le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE). Il s’agit ensuite de politiques ciblées spécifiquement ou de fait sur certains secteurs particulièrement intenses en main‑d’œuvre, comme les crédits d’impôt pour l’emploi à domicile ou pour la garde d’enfant, les politiques de contrat aidé qui bénéficient particulièrement aux associations de proximité, ou encore la TVA réduite appliquée dans la restauration.

B. Transformer les gains de productivité en revenu universel pour éviter le mécanisme de Baumol et favoriser un meilleur déversement

Ainsi les gains de productivité dans les secteurs automatisables conduisent à des hausses de salaire dans l’ensemble de l’économie, ce qui se traduit par une augmentation des coûts de production dans les secteurs non-automatisables de production de l’homme par l’homme (care, culture, formation professionnelle), ce qui est préjudiciable à leur bon développement.

On aurait pu éviter cet effet pervers de l’automatisation si les gains de productivité dans les secteurs automatisables étaient en partie distribuée à tous sous forme d’un revenu universel plutôt qu’uniquement sous forme de hausses de salaire et de profits (voir figure 3 ci-dessous). Le revenu universel est un revenu versé à tous, sans contrôle de ressource ni exigence de contrepartie, de façon inconditionnelle et individuelle, cumulable avec les autres revenus du travail, du patrimoine ou de remplacement. Parce que les gains de productivité ne sont pas distribués entièrement sous forme de hausse de salaire, mais pour partie sous forme de revenu universel, on réduit la hausse relative des coûts de production dans les services non-automatisables, si bien que l’on permet un meilleur déversement de travail vers ces services, tout en maintenant la progression des revenus pour les travailleurs.

Avec un revenu universel financé par TVA, on obtient un meilleur déversement vers les services intenses en travail
Avec un revenu universel financé par TVA, on obtient un meilleur déversement vers les services intenses en travail

Ici, nous avons présenté une approche de la distribution des gains de productivité qui permettrait de favoriser un meilleur développement des services intenses en travail – et notamment des services supérieurs accroissant le lien social et le capital humain. Maintenant se pose la question : comment appliquer la réforme permettant de mettre ce mécanisme en œuvre. Il y a plusieurs possibilités : la réforme radicale et la réforme progressive. La réforme consiste à mettre en œuvre tout de suite un revenu universel du montant du RSA actuel, financé par TVA. La réforme progressive consisterait à ralentir les hausses de salaire et à augmenter progressivement les taux de TVA afin de financer un revenu universel croissant.

Nous allons dans un premier présenter dans ses grands traits la réforme radicale (partie 2), ce d’abord pour des raisons pédagogiques. L’idée est de simuler de façon schématique la situation que l’on aurait aujourd’hui si nous avions effectivement transformé une partie des gains de productivité en augmentation d’un revenu de base plutôt qu’en hausses de salaire. Cela nous permettra de se faire une idée sur les effets de cette proposition sur les coûts de production et les prix à la consommation dans les différents secteurs (partie 3), mais aussi de comprendre les effets redistributifs de la mesure proposée et les effets sur l’offre de travail (partie 4). Enfin, nous envisagerons la possibilité de faire cette réforme de façon progressive (partie 5).

II. Une réforme radicale introduisant un revenu universel

A. Présentation de la réforme

L’idée générale consiste à dire que si une partie des gains de productivité avait été distribuée à tout le monde sous forme de revenu universel, via une augmentation de la TVA, plutôt qu’uniquement par des hausses de salaire, nous aurions eu un meilleur développement des secteurs intensifs en travail. Comment dès lors traduire cette idée dans une politique appliquée aujourd’hui, avec un revenu universel du montant du RSA actuel pour une personne seule (soit 465 € en 2015, forfait logement exclu).

Il est proposé qu’une partie des salaires versés actuellement soit dissociée du reste et identifiée comme la partie « revenu universel », suivant le schéma que proposait Yoland Bresson. Ainsi, tous les salariés voient leur salaire net[9] diminué du montant du revenu universel qu’ils reçoivent. Plus précisément, pour que la réduction ne pénalise pas les temps partiels plus que les autres et qu’elle soit proportionnelle au temps de travail salarié de chacun, c’est le salaire horaire qui est réduit de 2,98 €[10]. Ces 2,98 € représentent le montant mensuel du revenu universel (465 €) divisé par le volume horaire mensuel pour un employé à plein temps. Pour que la mesure puisse favoriser les secteurs intensifs en main‑d’œuvre, l’assiette des prélèvements sur laquelle on finance le revenu universel est la valeur ajoutée et non pas la masse salariale (voir schéma 2). Enfin, toutes les subventions à l’emploi sont supprimées (exonérations Fillon, CICE, réduction d’impôt pour l’emploi à domicile et les services à la personne, contrats aidés) dans la mesure où cette proposition conduit de fait à une forte baisse du coût du travail.

En économie fermée (sans échanges avec l’extérieur), cette proposition ne conduirait pas à une hausse des prix en moyenne, puisque la hausse de la TVA est compensée par la baisse de la masse salariale (voir schéma 3). Bien entendu, l’effet sur les prix à la consommation dépendra du poids de la masse salariale dans le prix à la consommation. Comme nous le verrons dans la partie suivante, les biens et services dont l’essentiel des coûts est constitué de salaires (ou qui sont exonérés de TVA) vont voir leur prix diminuer très fortement. Au contraire, les biens dont la production est très largement automatisée et les biens importés vont voir leur prix à la consommation augmenter.

Evidemment, nous ne sommes pas en économie fermée et il nous faut tenir compte des échanges avec l’extérieur. La réforme proposée conduit certes à une forte hausse de la compétitivité-prix – via la baisse des coûts salariaux – mais aussi à une hausse du prix à la consommation des biens importés. Pour ne pas que la hausse du prix des biens importés réduise le pouvoir d’achat, il faudrait donc que la baisse du salaire horaire net soit un peu inférieur que 2,98 €. A moins que la réforme soit appliquée au niveau européen, ce qui permettrait de réduire le prix des importations avant TVA.

Dans cette présentation sommaire, pour faciliter la compréhension, nous proposons de réduire le salaire horaire de 2,98 €. Nous ferons ultérieurement un travail plus précis pour estimer les effets de la réforme sur les prix à la consommation avant de préciser de combien il faut faire varier le salaire horaire net pour maintenir le pouvoir d’achat.

Les justifications de ce revenu universel trouvent au moins deux fondements. D’une part, il s’agit d’une distribution à tous d’une rente d’automatisation (Bresson (1977)[11], Meade (1993)[12], Boss (2000)[13]). D’autre part, il s’agit de la rémunération de tout le travail collectif et cognitif qui participe à la création de richesse et de valeur (Monnier et Vercellone, 2006[14]).

B. Budget net pour le revenu universel

Avant de décrire les effets économiques de cette mesure, il nous faut boucler son budget, ou du moins préciser les grandes masses budgétaires (tableau 1).

Commençons par énumérer le nombre de revenus de base à verser. Nous nous réduisons à verse le revenu de base à la population adulte. Pour les enfants, une forfaitisation des allocations familiales, qui absorberait les quotient familial est certainement nécessaire (Landais, Piketty et Saez, 2011), mais ce n’est pas l’objet de ce travail que d’en déterminer le budget.

Nous considérons que pour les retraités et les chômeurs, le revenu de base est déjà inclus dans la pension de retraite, le minimum vieillesse, l’allocation pour adulte handicapé ou l’allocation chômage qu’ils perçoivent. Pour les fonctionnaires, la mise en place du revenu universel n’accroît pas la dépense publique, elle est neutre budgétairement : les administrations publiques ont juste à dissocier la partie revenu de base du reste du salaire. De même concernant l’emploi dit semi-public, c’est-à-dire dans l’ensemble des associations locales, culturelles, sportives ou autre qui assure une mission de service public et dont le budget de fonctionnement repose essentiellement sur la dépense publique : les employés de ce secteur recevront tous un revenu universel et le montant de la dotation ou de la subvention publique diminuera d’autant. Partant, il reste à verser le revenu universel à 26 millions d’adultes, à raison de 465 € par mois (5.580 € par an), soit un budget brut annuel de 146 milliards.

Mais il faut déduire de ce budget brut le coût des politiques rendues obsolètes par le revenu universel : le RSA (11 milliards), la prime pour l’emploi (2,8 milliards), les exonérations Fillon (20 milliards), le CICE (20 milliards), les réductions d’impôt pour les services à la personne (6 milliards) et les politiques d’emploi aidé (11 milliards). Par ailleurs, la mise en place d’un revenu de base universel et individuel rend obsolète la politique du quotient conjugal. Dès lors que chacun touche son revenu universel dans le couple, il n’y a plus de raison d’accorder une baisse d’impôt à une personne dont le ou la conjoint(e) n’aurait aucun revenu.

Ainsi, ce sont 83 milliards d’économie budgétaires ou de manque à gagner qui sont récupérés, ce qui réduit le budget net de la mesure à 63 milliards d’euros. Or les recettes actuelles de la TVA sont de 144,4 milliards, auxquels on peut ajouter 13,1 milliards de taxe sur les salaires qui est l’équivalent de la TVA pour les entreprises qui ne sont pas soumises à TVA. Ainsi cette mesure exige une hausse de 40,2% des recettes de ces deux impôts, ce qui est largement faisable compte tenu de la baisse des coûts de production permise par la baisse du coût du travail.

Budget net de la réforme proposée

Budget net de la réforme proposée

C. Le revenu universel est indépendant du conflit travail-capital

A ce stade de la présentation, on est en droit de se demander si la réforme présentée avantage plutôt le travail ou le capital, si elle conduit plutôt à une hausse de la part de la valeur ajoutée qui revient aux travailleurs ou plutôt à une hausse du taux de marge.

En fait, le revenu universel en lui-même n’est ni une mesure en faveur du travail, ni une mesure en faveur du capital. Il est une mesure qui doit permettre de faciliter le déversement des secteurs automatisables vers les secteurs de « production de l’homme par l’homme ». Toutefois, suivant la façon dont on paramètre la réforme et suivant le mode de régulation du revenu universel, cette réforme peut avantager soit le travail, soit le capital. Il suffirait par exemple de proposer une réduction du salaire horaire un peu inférieure.
Ici, nous avons fait le choix délibéré de présenter un revenu universel entièrement déduit du salaire, donc uniquement payé par le travailleur. Cela ne signifie pas que le travailleur est perdant à la mesure puisqu’il gagne en revenu universel ce qu’il perd en salaire, voire plus comme nous le verrons plus tard.
Nous avons fait ce choix d’abord pour des raisons pédagogiques. Il est plus simple de présenter une réforme qui joue marginalement sur le partage de la valeur ajoutée entre travail et capital, sinon par effet de réaction. La présentation d’un revenu universel qui ne joue pas sur le taux de marge des entreprises permet d’identifier beaucoup plus facilement les effets propres du revenu universel, au-delà de son paramétrage spécifique. Nous verrons par exemple dans la dernière partie que cette proposition de revenu universel conduit à une amélioration de la situation des travailleurs modestes bien qu’elle ne soit pas la proposition la plus favorable au travail à proprement parler.

Ainsi la réforme présentée ici repose sur un paramétrage qui a été choisi parce qu’il était simple à comprendre dans cette étape préliminaire de recherche. Dans nos recherches futures, nous tâcherons de spécifier le paramétrage de façon un peu plus fine, notamment pour mieux anticiper les effets potentiels sur chacun des prix.

Pour mieux imposer les secteurs qui bénéficient le plus de l’automatisation, où la part de la valeur ajoutée qui revient au travail est la plus faible et qui font le plus de bénéfices, nous aurions aussi pu choisir de financer le revenu universel par l’impôt sur les bénéfices plutôt que par la TVA. En somme, c’est comme si l’on excluait la masse salariale de l’assiette d’imposition afin de faire plus contribuer les entreprises qui bénéficient le plus de l’automatisation. Cependant, la difficulté provient du fait que au contraire de la TVA qui ponctionne l’ensemble de la consommation sur le territoire, l’impôt sur les bénéfices ne ponctionne que les entreprises localisées sur le territoire et pas les profits faits sur la consommation de biens importés. Ce problème est encore plus prégnant dans le contexte de l’émergence du commerce en ligne et des échanges transfrontaliers de services via internet (Colin et Collin, 2013[15]). Ainsi, tant qu’il n’existera pas d’impôt sur les bénéfices européens et que les pays continueront à se livrer une compétition fiscale sur cet impôt, il restera difficile de faire peser sur lui le financement du revenu universel. Ajoutons aussi que la TVA est un impôt qui fait déjà l’objet d’une coordination européenne, ce qui pourrait permettre de faciliter la proposition de mettre en œuvre un revenu de base européen.

Il nous faut enfin désamorcer une idée préconçue : il est souvent dit que la TVA est un impôt dégressif dans la mesure où les ménages les plus modestes consomment une part plus importante de leur revenu (et donc paient proportionnellement plus de TVA) que les ménages aisés. Effectivement, une augmentation de TVA diminuera bien plus le pouvoir d’achat des plus modestes que celui des plus riches lorsqu’elle conduit à une hausse des prix. Cependant, comme nous l’avons vu, cette proposition ne conduit pas à une hausse des prix en moyenne, donc la réforme en elle-même ne peut être vue comme dégressive.

III. Effet de la proposition sur le coût du travail et les prix relatifs

Maintenant que nous avons précisé le bouclage budgétaire de la mesure, nous pouvons simuler les effets précis sur le coût du travail et sur les prix suivant les branches de production, avant de décrire les effets redistributifs parmi les ménages.

A. Une forte baisse du coût du travail

La réforme introduisant le revenu universel passe par une baisse de tous les salaires horaire nets de 2,98 €, et a fortiori du coût du travail. Les graphiques 4 et 5 représentent la baisse du coût horaire du travail en € et en % suivant le salaire brut horaire.

Dans le secteur privé, compte tenu du fait que la réforme va de pair avec une suppression de l’exonération Fillon et du CICE, la baisse du coût du travail n’est pas uniforme avec le salaire horaire. Lorsque l’employeur ne bénéficie pas du CICE mais uniquement de l’exonération Fillon, la baisse du coût horaire du travail va de 0,53€ au niveau du Smic à 2,98 € à partir de 1,6 fois le Smic. La réforme bénéficie moins à l’emploi au Smic du fait qu’ils profitent aujourd’hui de l’exonération Fillon à plein. Mais il faut souligner que la suppression des exonérations Fillon permet de favoriser la mobilité salariale des travailleurs aujourd’hui payés au Smic en supprimant la « trappe à bas salaire ». En effet, l’effet pervers des exonérations Fillon est qu’elle rend beaucoup plus coûteux pour l’employeur d’augmenter son salarié quand celui-ci est au Smic[16] : à mesure qu’il augmente son salarié, il perd des exonérations, ce qui revient à payer deux fois son augmentation. Ainsi on peut anticiper que suite à la réforme, certains employés pourront plus facilement négocier des augmentations salariales.

En termes relatifs, la réforme conduit à une baisse du coût du travail comprise entre ‑5% au niveau du Smic et ‑13,5% à 1,6 fois le Smic. Ainsi les effets sur le coût du travail sont très loin d’être négligeables. Remarquons que lorsque l’entreprise bénéfice aujourd’hui du CICE, le gain est un peu moindre. Cela va d’une hausse bénigne du coût horaire du travail au Smic (3,6 centimes, soit 0,34% du coût actuel) à un gain de 2,08 € à 1,6 fois le Smic, gain qui baisse à 1,57 centimes à 2,5 fois le Smic (seuil à partir duquel le CICE disparaît) avant d’atteindre les 2,98 €.

C’est dans le secteur public que la baisse du coût du travail est la plus importante puisqu’il n’y a aucune subvention à l’emploi qui est supprimée. Ainsi, la diminution du coût horaire du travail est de 2,98 € quelque soit le salaire horaire actuel. Cela représente une baisse relative du coût du travail qui va de ‑26,6% au niveau du Smic à toujours plus de ‑10% à 3 fois le Smic.

Cela ne signifie pas que la réforme permet de faire des économies budgétaires sur les services publics au moment où elle est mise en œuvre. En revanche, cela signifie qu’elle réduit très fortement le coût d’une embauche supplémentaire et donc facilite l’amélioration du service public dans les hôpitaux, les crèches, les maisons de retraite, les maisons de quartier, etc.

B. Les effets sur les coûts de production et les prix à la consommation suivant la branche

La réforme du revenu universel permet de réduire très fortement le coût du travail et donc de favoriser l’embauche. Dans le même temps, l’augmentation de la TVA va, suivant les branches, plus ou moins que compenser la baisse du coût du travail et conduire à une hausse ou à une baisse du prix à la consommation.

Simuler les effets précis de la mesure sur les coûts de production et les prix à la consommation par branche demanderait un travail précis que nous tâcherons de faire plus tard. Mais nous pouvons d’ores et déjà tirer quelques conclusions sur les effets de la proposition. En premier lieu, elle réduit le coût de l’emploi public ou semi-public d’environ 17% en moyenne, ce qui laisse beaucoup de marge pour redéployer le service public dans les secteurs de la formation professionnelle, l’éducation populaire, l’Education Nationale, la garde d’enfants en bas âge, le soin aux personnes âgées et dépendantes, etc. Par ailleurs, même lorsque ces services ne sont pas procurés par des emplois publics mais plutôt par des emplois privés (par exemple pour les assistantes maternelles en libéral ou les aides à domicile), le coût du service diminue dans la mesure où la baisse du coût du travail fait plus que compenser la réduction fiscale et où ces services sont entièrement exonérés de TVA.

Concernant les biens et services marchands éligibles à la TVA, on peut anticiper que la réforme conduira à une baisse du prix à l’achat des services très intenses en main d’œuvre (restauration et hôtellerie, réparation des automobiles, de l’électroménager et autres biens d’équipement, rénovation des logements, transports collectifs, fruits et légumes frais, commerce de proximité, etc.). Au contraire, elle pourrait conduire à un renchérissement des biens et services dont la production est peu intense en travail et des biens importés (production industrielle automatisée, commerce en ligne, etc.).

Pour autant, les effets de la mesure sur les prix des biens industriels sont plus incertains, et l’on pourrait envisager, suivant le niveau de concurrence, que la mesure conduise à une baisse des marges des entreprises industrielles plutôt qu’à une hausse des prix de vente. Par exemple, du fait que la mesure permet de réduire le coût de réparation d’un véhicule privé, les particuliers pourraient préférer réparer leur véhicule plutôt que d’acheter un véhicule neuf, ce qui tirerait à la baisse le prix à la vente des véhicules neufs. Notons que l’on pourrait choisir de faire varier la hausse de TVA suivant le type de bien, par exemple faire porter une large partie de la hausse sur les biens d’équipement et autres appareils audio-visuels ou électroménagers, ce afin d’encourager un usage plus durable de ces biens dans la population.

D’aucuns pourraient craindre que les entreprises ne reportent pas la baisse des coûts salariaux sur les prix de vente, ou augmentent de façon abusive leurs prix. Les associations de consommateur auront un rôle important à jouer dans la mesure où elles devront détecter le risque d’abus.

Pour finir, soulignons que la réforme conduit toujours à une baisse des coûts de production avant TVA, baisse d’autant plus élevée que la production est intense en main‑d’œuvre. Ainsi la mesure doit permettre d’accroître la compétitivité-prix des biens et services à l’exportation, ce qui peut être favorable à la relance de l’activité.

IV. Effets redistributifs de la proposition et effets sur l’offre de travail

Pour avoir une vision complète des effets de la réforme proposée, il nous faut regarder ses effets redistributifs : quels ménages gagnent et quels ménagent perdent à la réforme. Il nous faudra aussi considérer les effets de la réforme sur les choix d’offre de travail des ménages, pour se faire une idée des effets de la mesure sur le marché du travail.

A. Effets redistributifs (à temps de travail fixe)

Les effets distributifs de la mesure dépendent de la configuration matrimoniale, du salaire horaire et du temps de travail. Nous allons préciser les effets distributifs de la mesure en fonction du temps de travail salarié dans 4 configurations différentes. Ces 4 configurations sont résumées par le graphique 6 qui représente la variation de revenu des ménages en fonction du volume horaire et du salaire horaire lorsque ceux-ci touchent bien le RSA à chaque fois qu’ils y ont droit. On sait que ceci est loin d’être le cas actuellement : 68% des ménages ayant droit au RSA activité n’en font pas la demande[17].

1. Pour une personne seule payée au SMIC horaire

Le revenu de base remplace le RSA et la prime pour l’emploi. Ainsi pour un célibataire au Smic horaire, la réforme ne change pas son revenu disponible tant qu’il est en emploi moins de 35 heures par semaine. En effet, le taux de dégressivité du RSA est aujourd’hui de 38% équivaut à la baisse du salaire net dans la réforme. Bien entendu, il sera gagnant s’il ne sollicitait pas le RSA auparavant.

2. Pour une personne seule payée plus que le SMIC horaire

La mesure devient bénéfique pour un célibataire à temps partiel mais dont le salaire est supérieur au Smic horaire. Il atteint 212 € par mois pour un célibataire à mi-temps dont le salaire horaire est égal à deux fois le Smic. En effet pour les salariés rémunérés plus que le Smic, la baisse proportionnelle de salaire net induite dans la mesure est inférieure au taux de dégressivité du RSA actuel. Par ailleurs, nous avons vu dans la partie précédente que la réforme facilitait la mobilité salariale des employés au Smic. Ainsi, si ces derniers ne sont pas gagnants à la réforme lorsqu’ils sont célibataires et touchent le RSA activité, ils peuvent le devenir en négociant plus facilement une augmentation.

3. Pour un couple au SMIC horaire

C’est bien entendu pour les couples que la réforme est la plus avantageuse. En effet, contrairement à la situation actuelle où le RSA couple est égal à 1,5 fois le RSA pour une personne seule, le revenu universel est individuel, si bien que le couple touchera deux revenus universels, soit un gain de 250 € si le couple est en emploi moins de 52 heures à tous les deux par semaine et rémunéré au Smic horaire. Le gain est bien entendu encore plus important si l’un des deux ou les deux sont rémunérés à un salaire horaire supérieur au Smic. Enfin, le gain s’annule dès lors que les deux sont en emploi à plein temps.

4. Pour ceux qui sont en emploi plus qu’à temps complet

Il faut souligner que dès lors que les individus sont en emploi plus qu’à plein temps (35 heures pour une personne seule, 2 fois 35 heures pour le couple), ils sont perdants à la mesure. En effet la réforme est conçue comme devant inciter à réduire son temps de travail salarié, comme nous le développons dans la partie suivante. Ainsi, pour les salariés au SMIC qui souhaiteraient augmenter leur revenu, la stratégie qui consiste à demander une augmentation de salaire devient relativement plus atteignable et plus efficace que celle qui consiste à faire des heures supplémentaires, ce grâce à la suppression de la trappe à bas salaire.

5. Pour les travailleurs pauvres qui ne sollicitent pas le RSA

Enfin, remarquons que la proposition bénéficie pleinement aux 68% de travailleurs pauvres qui auraient droit aujourd’hui au RSA activité mais n’en font pas la demande (leur situation n’est pas représentée dans le graphique). Le revenu universel est en effet attribué automatiquement, sans qu’aucune démarche soit nécessaire.

B. Une forte incitation à réduire le temps de travail salarié

La réforme proposée constitue une puissante incitation à réduire son temps de travail salarié. Les effets de la mesure sur l’offre de travail jouent à travers deux effets : l’effet-revenu et l’effet substitution. On parle ici d’effet revenu lorsque le travailleur qui voit son revenu augmenter au moment de l’introduction du revenu universel (à offre de travail inchangé) décide de réduire son temps de travail salarié pour maintenir son revenu initial. Et l’on parle ici d’effet substitution lorsque le travailleur décide de réduire son temps de travail salarié parce qu’il constate que, du fait de la baisse du salaire horaire net, cela lui fait subir une perte de revenu moindre qu’avant la réforme. Voici quelques exemples qui illustrent l’effet-revenu et l’effet-substitution.

Concernant l’effet-revenu, on peut prendre l’exemple des couples modestes, qui sont les principaux gagnants de la mesure. Pour un couple dont les deux adultes travaillent en tout 45 heures par semaine au Smic horaire, et qui gagne aujourd’hui 1540 € net par mois en tout, la réforme conduit à une hausse du revenu avant impôt de 248 €. Plutôt que d’augmenter leur revenu, certains couples peuvent préférer réduire leur temps de travail salarié afin de développer d’autres projets professionnels, associatifs ou personnels. En réduisant leur temps de travail salarié de 13 heures par semaine, ils retrouvent leur revenu disponible d’avant la réforme.

Pour les célibataires, nous avons vu que la réforme avantage ceux qui sont à temps partiel à condition qu’ils soient rémunérés à un salaire horaire supérieur au SMIC. Ainsi, théoriquement, l’incitation à réduire son temps de travail salarié par effet-revenu ne fonctionne pas pour un célibataire au SMIC. Cependant, l’effet-substitution fonctionne quelle que soit la situation initiale du travailleur, du fait de la baisse du salaire horaire net. Avec la baisse du salaire net, les travailleurs sont moins incités à faire des heures supplémentaires, et ils subiront une perte de revenu moindre qu’aujourd’hui s’ils décident de réduire leur temps de travail salarié. Ajoutons que cet effet-substitution (la réduction du temps de travail salarié à la faveur d’activités autonomes quand le salaire net diminue) sera d’autant plus fort que le salaire horaire initial du travailleur est faible.

Pour les célibataires au SMIC, il n’y a en théorie pas de changement dans l’incitation à réduire son temps de travail salarié dans la mesure où la réforme est neutre pour eux quel que soit leur temps de travail salarié, lorsqu’ils touchent le RSA. Cependant, en pratique, aucun travailleur ne pourrait choisir de réduire son temps de travail salarié et solliciter le RSA activité pour pallier à sa baisse de revenu, et ce pour plusieurs raisons : ils ne savent pas qu’ils peuvent le faire, c’est réprouvé moralement, les démarches administratives les rebutent. Ainsi, le caractère inconditionnel et universel du revenu de base change entièrement la façon dont on peut se poser la question du temps de travail salarié par rapport au RSA qui est vu comme une prestation d’assistance très stigmatisante. Le choix de réduire son temps de travail salarié sera ainsi beaucoup plus simple à faire avec un revenu de base universel et inconditionnel.

Ainsi, la réforme du revenu universel peut être le vecteur d’une meilleure répartition du temps de travail salarié entre les individus. Les uns réduiront leur temps de travail salarié pour développer d’autres projets, libérant ainsi des postes pour ceux qui cherchent un emploi.

V. Ou une introduction progressive du revenu universel

Nous avons présenté jusqu’ici une réforme radicale permettant d’introduire un revenu universel financé par TVA. Mais nous pourrions aussi le faire de façon progressive. Nous pourrions d’un côté ralentir la progression salariale, par exemple en gelant le niveau du SMIC, et de l’autre accroître progressivement les taux de TVA pour financer un revenu universel qui croîtra progressivement. Il faudra que la hausse de ce revenu universel soit particulièrement dynamique pour compenser la plus faible progression des salaires liée le gel du SMIC. Le RSA, les allocations chômage et les pensions de retraite verrait leur montant progressivement diminué du montant du revenu universel versé par ailleurs. De même, les subventions à l’emploi que sont les exonérations Fillon et le CICE seraient progressivement diminués, les salaires progressant de façon beaucoup pus lente, jusqu’à finalement disparaître totalement.

Les hausses de TVA pourraient cibler en priorité les biens et services dont la production ou la distribution est de plus en plus automatisée (électroménager, téléphonie et audiovisuel, ordinateurs personnels, livres, CD et autres biens dont la livraison est de plus en plus automatisée, publicité, notamment sur le Web, etc.).

Rappelons qu’il existe aussi des propositions de financement du revenu universel par l’impôt sur le revenu, comme par exemple celle de Marc de Basquiat[18]. Cette proposition permet de simplifier largement le système socio-fiscal actuel, mais ne change rien à la donne que nous avons souligné sur le coût du travail salarié dans les services non-automatisables. Il serait possible de faire une proposition de revenu universel qui mélange TVA pour favoriser le développement des services intenses en travail et impôt sur le revenu pour rendre la mesure plus redistributive.

Conclusion

Pour dépasser la malédiction du renchérissement des services intenses en travail (loi de Baumol) – et notamment des services supérieurs qui accroissent le lien sociale et le capital humain –, nous proposons de redistribuer une partie des gains de productivité sous forme d’un revenu universel financé par TVA plutôt qu’uniquement sous forme de hausses de salaire. Nous proposons une réforme qui permet d’introduire le revenu universel tout en diminuant le coût du travail, et donc les coûts de production dans ces secteurs de « production de l’homme par l’homme ».

Ainsi l’on accroît fortement les marges de manœuvre pour améliorer l’offre de services publics et autres services sociaux (formation professionnelle, soin aux personnes âgées et dépendantes, maisons de retraite, éducation populaire, garde d’enfant, etc.). La mesure réduit le prix à la consommation des biens dont la production est intense en emplois (divers services aux ménages, hôtellerie et restauration, réparation des biens d’équipements, rénovation des logements, etc.) mais renchérit le prix des biens dont la production est fortement automatisée ou numérisée (biens industriels, biens d’équipement, commerce en ligne, etc.). En outre, la mesure doit permettre d’améliorer le solde du commerce extérieur dans la mesure où la baisse du coût du travail réduit le coût de production des exportations et la hausse de la TVA augmente le prix à la consommation des biens importés. Un travail un peu plus détaillé sur les effets de la mesure sur les coûts de production et les hausses de TVA reste toutefois nécessaire.

Enfin, cette réforme permet d’améliorer le revenu disponible des couples modestes et des célibataires travaillant à mi-temps. Elle permet aussi de résoudre le problème du non-recours au RSA activité et ainsi de réduire drastiquement la pauvreté au travail. Et elle constitue une importante incitation à réduire son temps de travail salarié, favorisant ainsi une meilleure répartition des postes d’emploi.

Dans un souci de pédagogie, nous avons choisi de présenter un modèle simple de réforme où le financement du revenu universel repose uniquement sur le travail. Nous n’avons pas simulé les effets précis de la réforme sur le prix à la consommation suivant l bien ou le service. La prochaine étape sera de construire un modèle permettant de simuler les effets de la réforme sur les prix à la consommation par branche, en faisant varier les taux de TVA et le changement dans le salaire horaire, notamment en prenant en compte les biens importés. Partant de cette analyse, nous pourrons paramétrer notre réforme avec plus de précision afin qu’elle ne réduise pas le pouvoir d’achat des travailleurs, en prenant aussi en compte l’évolution des taux de cotisation sociale.


Crédit photo CC International Labour Organisation

Bibliographie

Basquiat de Mugriet, Marc Emmanuel de. « Rationalisation d’un système redistributif complexe : une modélisation de l’allocation universelle en France ». Thèse de doctorat, Ecole Doctorale Sciences Economiques et de Gestion d’Aix-Marseille, 2011.

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Sauvy, Alfred, Anita Hirsch, et Wassily W. Leontief. La machine et le chômage : le progrès technique et l’emploi. 1 vol. Pluriel (Paris. 1982), ISSN 0296 – 2063 8384. Paris, France : Dunod, 1980.

[1] “The computerisation of European jobs. Who will win and who will lose from the impact of new technology onto old areas of employment?”, by Jeremy Bowles, Bruegel Institute, 17 juillet 2014.

Cette prédiction s’appuie sur les travaux prélables de deux économistes d’Oxford : Carl Benedikt Frey and Michael A. Osborne « The future of jobs : How susceptible are jobs to computerisation ». 17 septembre 2013

Le Cabinet Roland Berger a publié à l’automne 2014 un rapport prédisant la numérisation et l’automatisation de trois millions d’emplois d’ici 10 ans : “Les classes moyennes face à la transformation digitale. Comment anticiper. Comment accompagner” Roland Berger Consultancy. octobre 2014.

[2] Brynjolfsson et McAfee, « Race against the machine ».

[3] Méda, D., & Périvier, H. (2007). « Le deuxième âge de l’émancipation. La société, les femmes et l’emploi », La République des Idées, Le Seuil

[4] Baumol, William ; William Bowen (1966). Performing Arts, The Economic Dilemma : a study of problems common to theater, opera, music, and dance. New York : Twentieth Century Fund

[5] COMMISSION DES COMMUNAUTES EUROPEENNES, Les initiatives locales de développement et d’emploi. Enquête dans l’Union Européenne.

[6] Baumol, Baumol’s cost disease.

[7] Sauvy, Hirsch, et Leontief, La machine et le chômage.

[8] Gadrey, Socio-économie des services. Il faudrait préciser que les hausses de salaire dans les secteurs des services aux ménages (et notamment de la santé et des services à la personne) ont été moindre que dans le reste de l’économie, mais que cela n’a pas empêché les coûts de production dans ces secteurs d’augmenter plus vite que dans le reste de l’économie.

[9] Par souci de clarté, nous ne touchons pas aux cotisations sociales dans ce travail préliminaire. Nous verrons la façon dont les cotisations sont affectées dans les développements ultérieurs.

[10] Concernant la mise en œuvre concrète de la réforme, le gouvernement pourrait, en amont de la mise en place du revenu universel, demander aux partenaires sociaux de se réunir pour décider des variations de salaire dans chaque entreprise et dans chaque branche, le montant de 2,98 € servant de paramètre indicatif. Ainsi la détermination de la juste variation des salaires passera forcément par la négociation syndicale.

[11] Bresson, Le Capital-temps.

[12] Meade, Liberty, equality and efficiency.

[13] Gilbert, « Justifications du revenu universel | multitudes ».

[14] Monnier et Vercellone, « Fondements et faisabilité du revenu social garanti ».

[15]Colins & Collin, Rapport sur la fiscalité du numérique, 2013

[16] Entre 1 et 1,6 fois le Smic, les cotisations patronales et autres prélèvements sur salaire augmentent de 0,893€ quand le salaire brut augmente de 1 € du fait de la disparition des exonérations Fillon, contre 0.459 € au-delà de 1,6 fois le Smic.

[17] « Comité national d’évaluation du rSa – Rapport final ».

[18] de Basquiat de Mugriet, « Rationalisation d’un système redistributif complexe ».