C’est presque dans l’indifférence généralisée que Jean-Louis Cuscusa s’est immolé par le feu le mercredi 8 août 2012 dans une caisse des allocations familiales (CAF) des Yvelines. Quatre jours plus tard décédait cet homme qui cherchait à recouvrir son RSA suspendu depuis quatre mois. Si un tel acte est toujours difficile à expliquer, le geste a bien évidemment une dimension sociale et il rend urgent la mise en place d’un revenu de base.

L’acte désespéré de Jean-Louis Cuscusa n’est pas isolé puisque dix autres immolations de ce genre ont été recensées cette année. Si plusieurs médias ont relayé cette information, ils sont peu nombreux (Arretsurimages.net, Actuchômage.org, une émission de complément d’enquête sur France 2) à avoir approfondi sur les raisons d’un tel drame. Et celui-ci n’a par ailleurs pas soulevé une grande émotion dans l’opinion publique…

Pourtant, cet acte est symptomatique d’un phénomène grave : le chômeur est stigmatisé par le contrôle étroit qu’il subit par l’administration. Avec la crise, cette pression n’est pas près de diminuer, elle risque au contraire de se renforcer.

Au quotidien, le chômeur croule sous la contrainte et le paperasses administrative. Pour obtenir son allocation il faut qu’ils s’adapte au jargon employé par pôle emploi. Il signe tout d’abord un projet personnel d’accès à l’emploi (PPE) qui vise à encadrer sa réinsertion et qui détermine les critères de l’offre raisonnable d’emploi (ORE). Celle-ci ne peut pas être refusée au risque de se voir couper son allocation. Mais avec le temps elle devient de moins en moins “raisonnable”. Le chômeur doit accepter de revoir les critères qui définissent son ORE ce qui revient à accepter un emploi qui est situé plus loin, qui est moins bien payé et qui ne correspond pas toujours à ses compétences ou à son niveau d’étude.

Sa mobilité est aussi plutôt restreinte. Il doit prévenir l’administration si il quitte sa résidence plus de 7 jours et il n’a le droit de s’absenter que 35 jours par an sous peine de perdre ses droits. Il doit également se justifier en permanence. Par exemple, plusieurs inscrits au pôle emploi se sont retrouvés en grande difficulté dans des cas de litige car ils n’avaient pas conservé de traces de leur justificatif de téléactualisation lors d’une reprise du travail…

Depuis 2009, les règles qui encadrent les demandeurs d’emploi ont été durcies. Manquer simplement un rendez-vous avec son conseiller entraîne une radiation automatique et donc une perte de l’allocation pendant deux mois. Il n’est pas possible de contester la radiation oralement, il faut faire un recours qui doit être rédigé selon des formes bien précises (lettres recommandés, références juridiques…). Des acteurs associatifs comme le site recours-radiation.fr tentent difficilement de soutenir les chômeurs dans leurs démarches même si les situations relèvent parfois du casse-tête administratif.

La nouvelle stratégie définie cet été par la direction de pôle emploi risque même d’aggraver la situation. Déjà cet été sous prétexte d’efficacité mais en réalité pour limiter les coûts budgétaires, les inscrits ont été vivement incités à passer au suivi en ligne. Dans ce cas, les convocations sont envoyés par mail. Avec les bugs, certains usagés manquent leur rendez-vous, et perdent de ce fait leur allocation. De plus, la numérisation rend encore plus difficile la justification en cas de recours. Les agents du pôle emploi souffrent aussi de cette évolution. Ils sont soumis à un stress croissant puisqu’ils gèrent plus d’une centaine de dossiers, de plus leur rôle se réduit au flicage plus qu’à la réinsertion.

Ce contrôle accru du demandeur d’emploi fabrique l’exclusion. L’an dernier, 519.000 chômeurs ont été rayés des listes de Pôle emploi pour des raisons administrative. Être radié signifie vivre concrètement sans ressources pour les personnes les plus démunis. Il est donc très facile dans ce cas de basculer dans des situations de grande détresse : devenir surendetté, ne plus pouvoir payer son loyer, ou tout simplement avoir des difficultés à se nourrir. L’infantilisation et l’absurdité de certaines règles poussent certains individus à vivre en marge et à développer une animosité envers la société.

Une étude de la CAF montre qu’en 2010 environ un tiers des éligibles au RSA ne recouraient pas à la prestation. Le service public de l’emploi est donc un repoussoir pour de nombreux citoyens. Il provoque aussi beaucoup d’effets pervers puisqu’il peut mettre des personnes à la rue ou bien encore favoriser la violence et le marché noir autant d’externalités négatives qui auront un coût pour l’État.

Il est temps de créer un service public qui vise avant tout la réinsertion et qui soutient réellement les chômeurs dans leur recherche d’emploi. Une autre étude réalisée par l’INSEE conteste l’idée selon laquelle l’allocation chômage incite les bénéficiaires à ne plus vouloir travailler. Dans ce cas, on peut supposer que l’assouplissement des conditions pour percevoir le RSA qui est demandé par la plupart des mouvements de chômeurs ne découragerait pas le retour à l’emploi.

Au contraire une politique d’assistance réelle inciterait à un retour à l’activité et donnerait à chacun la possibilité de réaliser ses projets de vie,de diversifier ses activités et d’acquérir de nouvelles compétences. C’est là tout l’esprit d’un revenu de base inconditionnel pour tous.


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